lundi 4 janvier 2016

Libre d'apprendre BLOG31, La confiance parentale, sa chute et sa renaissance potentielle

La confiance parentale, sa chute et sa renaissance potentielle
Pouvons-nous compléter un cercle historique en revivifiant la confiance parentale ?

La parentalité, comme d'ailleurs pratiquement tous les comportements humains, doit être comprise dans le contexte de la culture dans laquelle elle est intégrée. Les styles de parentalités proviennent des valeurs culturelles plus larges de la société et en même temps ces styles aident à perpétuer ces valeurs.
Dans mon dernier article, j'ai parlé de l'aspect ludique de la parentalité des chasseurs-cueilleurs. Cet essai faisait partie d'une série sur l'approche ludique de tous les aspects sociaux de la vie par les chasseurs-cueilleurs. J'ai utilisé le terme ludique pour me référer à une attitude d'égal à l'égard des autres plutôt que comme subordonné ou supérieur. Dans la série, j'ai souligné la différence de cet esprit de jeu dans l'approche des chasseurs-cueilleurs à l'égard de la gouvernance, de la religion, du travail productif et de la parentalité en le mettant en contraste avec les approches basé sur la domination qui se sont imposées dans toutes les cultures qui ont suivi.
Dans le jeu, personne ne peut dominer le comportement d'une autre personne, chaque joueur doit avoir la possibilité de prendre ses propres décisions à l'intérieure des limites qui ont été établies par les règles du jeu, et tous doivent avoir un mot à dire sur l'établissement de ces règles. Un style de parentalité ludique est alors celui dans lequel les parents ne tentent pas de dominer le comportement de l'enfant mais plutôt permettent à l'enfant une liberté maximale pour prendre ses propres décisions à chaque moment de chaque jour. Les parents ludiques permettent à leurs enfants de prendre leurs propres décisions parce qu'ils font confiance aux instincts et aux jugements de leurs enfants.
Dans cet essai j'utilise le terme de confiance parentale plutôt que de parentalité ludique pour décrire le style de parentalité des chasseurs-cueilleurs parce que son sens est encore plus évident. Les parents qui font confiance ne mesurent ni n'essayent de contrôler le développement de l'enfant parce qu'ils font confiance en l'enfant pour guider son propre développement. Plutôt que de le guider son développement, ils le soutiennent en aidant l'enfant à achever ses propres objectifs quand de l'aide est demandé et qu'il est nécessaire. Mes intentions dans cet essai sont d'expliquer pourquoi la confiance parentale a fonctionné si bien pour les chasseurs-cueilleurs, pourquoi elle a été remplacé par une parentalité directive dans les sociétés agricoles et industrielles et pourquoi les conditions sont maintenant propices à la renaissance d'une confiance parentale.
La confiance parentale était bien adaptée au mode de vie de chasse et de cueillette.
Comme je l'ai signalé dans des articles précédents, les chasseurs-cueilleurs sont attachés à des valeurs de liberté individuelle et d'égalité qui ont nourri la coopération, le partage, l'initiative individuelle et la créativité qui est nécessaire pour soutenir la vie dans un monde ou il n'y a pas d'accumulation de propriété ou de stockage de nourriture sur le long terme. La chasse et la cueillette elles-mêmes nécessitent beaucoup de créativité et de prise de décision, ce qui est très difficile à mettre en application par des personnes qui se sentent pousser à le faire par d'autres. Le mode de vie de la chasse et de la cueillette demande aussi de s'affirmer soi-même. Dans une société où les décisions du groupe sont faites lors de longues discussions qui mènent à un consensus, dans lesquelles tout le monde a le droit à la parole, il est essentiel que chacun se sente libre d'affirmer leurs idées et leurs souhaits. Il faut qu'ils aient la compétence de le faire et la confiance parentale était le moyen idéal pour créer le chasseur-cueilleur idéal.
La confiance parentale envoie des messages à l'enfant qui sont cohérents avec les besoins des bandes de chasseurs-cueilleurs : « Tu es compétent. Tu as des yeux et un cerveau et tu peux comprendre par toi-même. Tu connais tes propres compétences et limites. Par l’auto-direction de tes jeux et explorations tu apprendras ce que tu as besoin de connaître. Tes besoins ont de la valeur. Tes opinions comptes. Tu es responsable de tes propres erreurs et tu es digne de confiance à l'égard de ta capacité à apprendre de celles-ci. La vie sociale n'est pas un mur de volonté qui s'oppose à la tienne, mais soutien l'une et l'autre de manière à ce que chacun ait ce dont il a besoin et désir. Nous sommes avec toi, non contre toi. »
L'expérience des chasseurs-cueilleurs est que les personnes grandissent de cette façon deviennent hautement compétentes, coopératives, non autoritaires, joyeuses et des membres de valeur au sein de leur société. Ils ont contribué au sein de leur bande non pas parce qu'ils se sentaient forcés de le faire mais parce qu'ils le souhaitent et ils l'ont fait ainsi avec un esprit de jeu. Un groupe d'anthropologues a écrit il y a de nombreuses années quelque chose qui pourrait être résumé ainsi : « Le glaneur qui a du succès … est celui qui a grandi enfant dans l'affirmation de soi et l'indépendance. » [1]
Avec l'essor de l'agriculture, les styles de parentalité sont passé de la confiance à l'instruction et la domination.
L'agriculture, inventé il y a environ 10,000 ans, a changé radicalement les conditions de la vie humaine. La valeur de l'agriculture était bien sur qu'elle permettait de produire davantage de nourriture et soutenir davantage de personnes sur un espace plus petit que celui qui est nécessaire à la chasse et la cueillette. Toutefois le coût devint une entrave sérieuse sur la liberté humaine.
Avec l'agriculture vint l'appropriation des terres et l’accumulation de la propriété, avec cela vint aussi le besoin de garder la propriété et de la protéger, parfois par des moyens violents. Aussi, et d'une manière plus significative, l'agriculture a produit l'ouvrier. Alors que chasser et cueillir demandait une initiative personnelle, de la compétence, de l'intelligence, de la créativité et un esprit de jeu ludique, la plus grande partie du travail agricole était répétitive et pouvait être produite par des ouvriers sans compétences. L'agriculture a aussi conduit à de plus grandes familles avec un plus grand nombre de bouches à nourrir, les enfants devaient travailler dans les champs et en s'occupant des plus jeunes pour pouvoir subvenir à leurs besoins et ceux de leurs frères et sœurs. Tout cela conduisit à la rupture avec les idéaux d'égalité et de liberté des chasseurs-cueilleurs.
L'agriculture à mis en place les conditions pour les relations de domination et les inégalités. Les personnes qui ne possédaient pas de terres, ce qui inclut les enfants et pratiquement toutes les femmes, devinrent dépendantes des personnes qui possédaient des terres. Les propriétaires fonciers devinrent les seigneurs et maîtres et les sans terres devinrent les servants et les esclaves. La finalité de ce mouvement a conduit de manière ultime aux sociétés féodales dans laquelle il y avait peu de seigneurs et de maîtres et une grande majorité de serviteurs et d'esclaves. Il n'est pas surprenant de tel changement on altéré les valeurs sociales. Les religions par exemple sont passé de l'esprit égalitaire et ludique à la hiérarchie et un esprit dangereusement sérieux véhiculant un message d'obéissance plutôt que de liberté. (voir article) Il est clair que dans ce contexte, l'approche de la parentalité a aussi changé.
Alors que les chasseurs-cueilleurs avaient besoin d'être indépendant et confiant pour pouvoir survivre, la plupart des personnes des cultures post-chasseurs-cueilleurs avaient besoin d'être obéissant pour pouvoir survivre. Et ainsi, le but de la parentalité pour la plupart des personnes fut de produire des enfants obéissants et serviles. Tandis que les chasseurs-cueilleurs étaient parents d'une manière qui permettait le développement de l'indépendance et de la volonté, les premiers agriculteurs et les peuples des temps féodaux étaient parents d'une manière à supprimer ces qualités. Les coups physiques de l'enfant étaient réguliers et largement approuvés comme étant des moyens normaux pour y arriver. Les enfants qui agissaient avec arrogance envers leurs pères ou leurs maîtres étaient battus. Les femmes adultes et les serviteurs étaient aussi souvent traités de cette manière.
De nombreuses études ont démontré qu'il y avait une relation entre les moyens économiques pour gagner sa vie et le style de parentalité. Par exemple, une étude statistique réalisée à grande échelle et publié il y a 50 ans a montré qu'il y avait une forte corrélation selon le degré dans laquelle une culture est dépendante de l'agriculture plutôt que de la chasse et de la cueillette et le degré selon lequel les pratiques parentales sont orienté vers l'obéissance plutôt que la confiance en soi. [2]
L'essor de l'industrie a conduit à davantage de répression envers la volonté et l'indépendance de l'enfant. Les premières industries ont été intensives en utilisation de main-d’œuvre et cela bien plus que l'agriculture. Les enfants étaient utilisés pour une large part de leur temps à ce dur labeur. Les enfants comme les adultes peinaient de longues heures dans des conditions lugubres et les enfants étaient souvent battu pour qu'ils continuent leurs tâches. La plupart des personnes continuaient à dépendre de leurs maîtres, mais maintenant les maîtres étaient les seigneurs des usines plutôt que les seigneurs des terres.
Il est raisonnable de supposer que les parents des premières sociétés agricoles et industrielles qui battaient leurs enfants pour les soumettre agissaient pour le bien des enfants. Pour survivre dans ces conditions il était nécessaire d'être obéissant et pour cela il fallait supprimer la volonté et enseigner à faire sans questionner ce qui était demandé. Les méthodes des chasseurs-cueilleurs sont les moyens naturels pour devenir humain. Il est impossible de supprimer cela chez un être humain et c'est pourquoi il y avait toujours des révoltes et des soulèvements et cela même au risque d'en mourir. Les hommes ne peuvent pas être entraîné à être des fourmis.
Les conditions modernes ont entretenu une parentalité protectrice et directive.
De nos jours, pratiquement tout le monde est repoussé par l'idée de battre ses enfants pour obtenir leur soumission. De nos jours, la créativité, l'initiative et la confiance en soi sont généralement valorisés chez les enfants. Dans notre monde actuel, nous comprenons que l'obéissance n'est pas suffisante. Les ouvriers non qualifié ont diminué et ont été remplacé par les machines et les personnes doivent souvent être créatives et auto-dirigées pour trouver des moyens pour se soutenir elles-mêmes. De nombreuses valeurs qu'embrassaient les chasseurs-cueilleurs sont aujourd'hui adoptées de nouveau.
Toutefois nous n'avons pas, en tant que culture, adopté la confiance parentale des chasseurs-cueilleurs. À la place, nous avons remplacé la parentalité dominante et directive de la féodalité et du début de l'industrialisation par une nouvelle forme de style directif et protecteur. Pour différentes raisons, nous en sommes arrivé à voir l'enfance comme une période extrêmement fragile du développement. Les experts nous disent constamment ce dont quoi nous devons nous protéger nos enfants. Nous en sommes arrivé à penser que les enfants n'avaient pas les compétences pour prendre leurs propres décisions, qu'ils devaient être éduqués d'une manière attentive pour être dirigé progressivement vers un niveau vers lequel ils auraient un jour cette compétence.
On nous dit que nous devons protéger les enfants de toutes sortes d'accidents, ce qui signifie qu'il faut porter de sérieuses restrictions sur les formes de jeu et d'exploration. Nous devons les protéger des maladies qu'ils pourraient attraper avec pratiquement tout ce qu'ils font. Nous devons les protéger des adultes prédateurs qui rôderaient semble-t-il dans tous les voisinages ou des autres enfants ou des adolescents nocifs plus âgé. Nous devons aussi les protéger de leurs propres bêtises car nous lisons régulièrement de nouvelles données qui prouvent prétendument que les enfants et particulièrement les adolescents seraient, pour des raisons biologiques, des empotés. Nous devons protéger les enfants une estime de soi fragile en augmentant toujours plus les louanges, en participant à leurs jeux (et parfois en les arrangeant pour eux) tout en les encourageant et en essayant d'arranger leurs vies de manière à ce qu'ils n'échouent jamais. Et nous devons aussi protéger leurs futurs, car nous avons entendu dire que c'est ce que nous faisions en les forçant à passer toujours plus d'années et d'heures dans le système éducatif et à ne pas parler de leurs véritables besoins et soucis.
En faisant tout cela et avec les meilleures intentions du monde, nous privons les enfants aujourd'hui de la liberté de manière quasi identique que le faisaient les parents dans les sociétés féodales et des débuts industriels. Nous ne battons pas les enfants, mais nous utilisons tous les autres pouvoirs que nous avons en tant que soutien pour contrôler leur vie.
Que faudrait-il pour faire revivre la confiance parentale ?
De nombreux parents aimeraient adopter une approche plus confiante mais découvrent que c'est difficile de le faire. Les voix de la peur sont fortes et incessantes, et les peurs ne sont jamais véritablement sans fondement. Elles ne peuvent pas être complètement rejetées. De terribles accidents arrivent, les adultes prédateurs existent, la délinquance des autres enfants peut avoir des influences nocives, les enfants et les adolescents font des erreurs (d'ailleurs comme toutes personnes de tout âge) et l'échec peut blesser. Nous sommes aussi par nature, conformiste. Il est difficile de nager à contre-courant et prendre le risque d'être jugé de manière négative sur notre façon d'être parent. Et pourtant, certains nage à contre-courant, et le nombre des nageurs peut faire changer la direction de la rivière.
Lors des deux ou trois prochains articles je répondrais directement aux questions qui ont été posé ici. Je parlerais de la confiance parentale dont j'ai fait l'expérience en tant qu'enfant et des défis de la confiance parentale aujourd'hui et la façon de faire face à ces défis.
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Notes
[1] Devore, Murdock & Whiting (1968). In Richard B. Lee & Irven DeVore, 
Man the Hunter, p 337.
[2] Barry, Child, & Baron (1959), "Relation of Child Training to Subsistence Economy,"
American Anthropologist, 61, 51-63.]


Publié le 16 Juillet 2009 par Peter Gray et traduit par Michaël Seyne le 15 Décembre 2015

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