La
confiance parentale, sa chute et sa renaissance potentielle
Pouvons-nous
compléter un cercle historique en revivifiant la confiance
parentale ?
La
parentalité, comme d'ailleurs
pratiquement
tous les comportements humains, doit être comprise dans le contexte
de la culture dans laquelle elle est intégrée. Les styles de
parentalités proviennent des valeurs culturelles plus larges de la
société et en même temps ces styles aident à perpétuer ces
valeurs.
Dans
mon dernier article,
j'ai parlé de l'aspect ludique de la parentalité des
chasseurs-cueilleurs. Cet essai faisait partie
d'une série sur l'approche ludique de tous les aspects sociaux
de la vie par les chasseurs-cueilleurs. J'ai utilisé le terme
ludique pour me référer à une attitude d'égal à l'égard des
autres plutôt que comme subordonné ou supérieur. Dans la série,
j'ai souligné la différence de cet esprit de jeu dans l'approche
des chasseurs-cueilleurs à l'égard de la gouvernance, de la
religion, du travail productif et de la parentalité en le mettant en
contraste avec les approches basé sur la domination qui
se sont imposées dans toutes les cultures qui ont suivi.
Dans
le jeu, personne ne peut dominer le comportement d'une
autre personne,
chaque joueur doit avoir la possibilité de prendre ses propres
décisions à l'intérieure des limites qui ont été établies par
les règles du jeu, et tous doivent avoir un mot à dire sur
l'établissement de ces règles. Un style de parentalité ludique est
alors celui dans lequel les parents ne tentent
pas de dominer le comportement de l'enfant mais plutôt permettent à
l'enfant une liberté maximale pour prendre ses
propres
décisions à chaque moment de chaque jour. Les parents ludiques
permettent
à leurs enfants de prendre leurs propres décisions parce qu'ils
font confiance aux instincts et aux
jugements de leurs enfants.
Dans
cet essai j'utilise le terme de confiance parentale
plutôt que de parentalité ludique pour décrire le style de
parentalité des chasseurs-cueilleurs parce que son sens est encore
plus évident. Les parents qui font
confiance ne mesurent
ni n'essayent
de contrôler le développement de l'enfant parce qu'ils font
confiance en l'enfant pour guider son propre développement. Plutôt
que de le guider son développement, ils le soutiennent en aidant
l'enfant à achever ses propres objectifs quand de l'aide est demandé
et qu'il est nécessaire. Mes intentions dans cet essai sont
d'expliquer pourquoi la
confiance parentale a
fonctionné si bien pour les chasseurs-cueilleurs, pourquoi elle a
été remplacé par une parentalité directive dans les sociétés
agricoles et industrielles et pourquoi les conditions sont maintenant
propices
à la renaissance d'une confiance parentale.
La
confiance parentale était bien adaptée au mode de vie de chasse et
de cueillette.
Comme
je l'ai signalé dans des articles précédents, les
chasseurs-cueilleurs sont attachés
à des valeurs de liberté individuelle et d'égalité qui ont nourri
la coopération, le partage, l'initiative individuelle et la
créativité qui est nécessaire pour soutenir la vie dans un monde
ou il n'y a pas d'accumulation de propriété ou de stockage de
nourriture sur le long terme. La chasse et la cueillette elles-mêmes
nécessitent beaucoup de créativité et de prise de décision, ce
qui est très difficile à mettre en application par des personnes
qui se sentent pousser à le faire par d'autres. Le mode de vie de la
chasse et de la cueillette demande aussi de s'affirmer soi-même.
Dans une société où
les décisions du
groupe sont faites
lors de longues discussions qui mènent
à un consensus, dans lesquelles tout le monde a
le droit à la parole, il est essentiel que chacun se sente libre
d'affirmer leurs idées et leurs souhaits. Il faut qu'ils aient la
compétence de le faire et la confiance parentale était le moyen
idéal pour créer le chasseur-cueilleur idéal.
La
confiance parentale envoie des messages à l'enfant qui sont
cohérents
avec les besoins des bandes de chasseurs-cueilleurs :
« Tu es compétent. Tu as des yeux et un cerveau et tu peux
comprendre par toi-même. Tu connais tes propres compétences et
limites. Par l’auto-direction
de tes
jeux
et explorations
tu apprendras
ce que tu as besoin de connaître. Tes besoins ont de la valeur. Tes
opinions comptes. Tu es responsable de tes propres erreurs et tu es
digne de confiance à l'égard de ta capacité à apprendre de
celles-ci. La vie sociale
n'est pas un mur de volonté qui s'oppose à la tienne, mais soutien
l'une et l'autre de manière à ce que chacun ait
ce dont
il
a besoin et désir. Nous sommes avec toi, non contre toi. »
L'expérience
des chasseurs-cueilleurs est que les personnes grandissent de cette
façon deviennent hautement compétentes,
coopératives,
non autoritaires,
joyeuses
et des membres de valeur au sein de leur société. Ils ont contribué
au sein de leur bande non pas parce qu'ils se sentaient forcés
de le faire mais parce qu'ils le souhaitent
et ils l'ont
fait ainsi avec un esprit de jeu. Un groupe d'anthropologues a écrit
il y a de nombreuses années quelque chose qui pourrait être résumé
ainsi : « Le
glaneur qui a du succès … est celui qui a grandi enfant dans
l'affirmation de soi et l'indépendance. »
[1]
Avec
l'essor de l'agriculture, les styles de
parentalité
sont passé de la confiance à l'instruction et la domination.
L'agriculture,
inventé il y a environ 10,000 ans, a changé radicalement les
conditions de la vie humaine. La valeur de l'agriculture était bien
sur qu'elle permettait de produire davantage de nourriture et
soutenir davantage de personnes sur un espace plus petit que celui
qui est nécessaire à la chasse et la cueillette. Toutefois le coût
devint une entrave sérieuse sur la liberté humaine.
Avec
l'agriculture vint l'appropriation des terres et l’accumulation de
la propriété, avec cela vint aussi le besoin de garder la propriété
et de la protéger, parfois par des moyens violents.
Aussi, et d'une manière plus significative, l'agriculture a
produit l'ouvrier. Alors que chasser et cueillir demandait une
initiative personnelle, de la compétence, de l'intelligence, de la
créativité et un esprit de jeu ludique, la plus grande partie du
travail agricole était répétitive
et pouvait être produite
par des ouvriers sans compétences. L'agriculture a aussi conduit à
de plus grandes familles avec un plus grand nombre de bouches
à nourrir, les enfants devaient travailler dans les champs et en
s'occupant des plus jeunes pour pouvoir subvenir à leurs besoins et
ceux de leurs frères et sœurs. Tout cela conduisit à la rupture
avec les idéaux d'égalité et de liberté des chasseurs-cueilleurs.
L'agriculture
à mis en place les conditions pour les
relations de
domination et les inégalités. Les
personnes qui ne possédaient pas de terres, ce qui inclut les
enfants et pratiquement toutes les femmes, devinrent dépendantes des
personnes qui possédaient des terres. Les propriétaires fonciers
devinrent les seigneurs et maîtres et les sans terres devinrent les
servants et les esclaves. La finalité de ce mouvement a
conduit de manière ultime aux sociétés féodales dans laquelle il
y avait peu de seigneurs et de maîtres et une grande majorité de
serviteurs et d'esclaves. Il n'est pas surprenant de tel changement
on altéré les valeurs sociales. Les religions par exemple sont
passé de l'esprit égalitaire et ludique à la hiérarchie et un
esprit dangereusement sérieux véhiculant un message d'obéissance
plutôt que de liberté. (voir article)
Il est clair que dans ce contexte, l'approche de la parentalité a
aussi changé.
Alors
que les chasseurs-cueilleurs avaient besoin d'être indépendant et
confiant pour pouvoir survivre, la plupart des personnes des cultures
post-chasseurs-cueilleurs avaient besoin d'être obéissant pour
pouvoir survivre. Et ainsi, le but de la parentalité pour la plupart
des personnes fut de produire des enfants obéissants
et
serviles.
Tandis que les chasseurs-cueilleurs étaient parents d'une manière
qui permettait le développement de l'indépendance
et de la volonté, les
premiers agriculteurs et les peuples des temps féodaux étaient
parents d'une manière à supprimer ces qualités. Les coups
physiques de l'enfant étaient réguliers et largement approuvés
comme étant des moyens normaux pour y arriver. Les enfants qui
agissaient avec arrogance envers leurs pères ou leurs maîtres
étaient battus. Les femmes adultes et les serviteurs étaient aussi
souvent traités de cette manière.
De
nombreuses études ont démontré qu'il y avait une relation entre
les moyens économiques pour gagner sa vie et le style de
parentalité. Par exemple, une étude statistique réalisée
à grande échelle et publié il y a 50 ans a montré qu'il y avait
une forte corrélation selon le degré dans laquelle une culture est
dépendante de l'agriculture plutôt que de la chasse et de la
cueillette et le degré selon lequel les pratiques parentales sont
orienté vers l'obéissance plutôt que la confiance en soi. [2]
L'essor
de l'industrie a
conduit à davantage de répression envers la volonté et
l'indépendance de l'enfant. Les premières industries ont été
intensives
en utilisation de main-d’œuvre
et cela bien plus que l'agriculture. Les enfants étaient
utilisés
pour une large part de leur temps à ce dur labeur. Les enfants comme
les adultes peinaient de longues heures dans des conditions lugubres
et les enfants étaient souvent battu pour qu'ils continuent leurs
tâches. La plupart des personnes continuaient à dépendre de leurs
maîtres, mais maintenant les maîtres étaient les seigneurs des
usines plutôt que les seigneurs des terres.
Il
est raisonnable de supposer que les parents des premières sociétés
agricoles et industrielles qui battaient leurs enfants pour les
soumettre
agissaient
pour le bien des enfants. Pour survivre dans ces conditions il était
nécessaire d'être obéissant et pour cela il fallait
supprimer la volonté et enseigner à faire sans questionner ce qui
était
demandé. Les méthodes des chasseurs-cueilleurs sont les moyens
naturels pour
devenir humain.
Il est impossible de supprimer
cela chez un être humain et c'est pourquoi il y avait toujours des
révoltes et des soulèvements et cela même au risque d'en mourir.
Les hommes ne peuvent pas être entraîné à être des fourmis.
Les
conditions modernes ont entretenu une
parentalité protectrice
et directive.
De
nos jours, pratiquement tout le monde est repoussé par l'idée de
battre ses enfants pour obtenir leur soumission. De nos jours, la
créativité, l'initiative et la confiance en soi sont généralement
valorisés
chez les enfants. Dans notre monde actuel, nous comprenons que
l'obéissance n'est pas suffisante. Les ouvriers non qualifié ont
diminué et ont été remplacé par les machines et les personnes
doivent souvent être créatives et auto-dirigées pour trouver des
moyens pour se soutenir elles-mêmes. De nombreuses valeurs
qu'embrassaient les chasseurs-cueilleurs sont aujourd'hui adoptées
de nouveau.
Toutefois
nous n'avons pas, en tant que culture, adopté la
confiance parentale
des chasseurs-cueilleurs. À la place, nous avons remplacé la
parentalité dominante et directive de la féodalité et du début de
l'industrialisation par une nouvelle forme de style directif et
protecteur. Pour différentes raisons, nous en sommes arrivé à voir
l'enfance comme une période extrêmement fragile du développement.
Les experts nous disent constamment ce dont quoi nous devons nous
protéger nos enfants. Nous en sommes arrivé à penser que les
enfants n'avaient
pas les compétences pour prendre leurs propres décisions, qu'ils
devaient être éduqués
d'une manière attentive pour
être
dirigé progressivement vers un niveau vers lequel ils auraient
un jour cette compétence.
On
nous dit
que nous devons protéger les enfants de toutes sortes
d'accidents, ce qui signifie qu'il
faut porter de
sérieuses
restrictions sur les formes
de jeu et d'exploration. Nous devons les protéger des maladies
qu'ils
pourraient
attraper
avec pratiquement tout ce qu'ils font. Nous devons les protéger des
adultes prédateurs qui rôderaient
semble-t-il dans tous les voisinages ou
des autres
enfants ou des adolescents nocifs plus âgé. Nous devons aussi
les
protéger de leurs
propres
bêtises car
nous lisons régulièrement de nouvelles
données qui prouvent prétendument que les enfants et
particulièrement les adolescents seraient,
pour des raisons biologiques, des empotés. Nous
devons protéger les enfants une estime de soi fragile en augmentant
toujours plus les louanges, en participant à leurs jeux (et parfois
en les arrangeant pour eux) tout en les encourageant et en essayant
d'arranger leurs vies de manière à ce qu'ils n'échouent jamais. Et
nous devons aussi protéger leurs futurs, car nous avons entendu dire
que c'est ce que nous faisions en les forçant à passer toujours
plus d'années et d'heures dans le système éducatif et à ne pas
parler de leurs véritables besoins et soucis.
En
faisant tout cela et avec les meilleures intentions du monde, nous
privons les enfants aujourd'hui de la liberté de manière quasi
identique que le faisaient
les parents dans les sociétés féodales et des débuts industriels.
Nous ne battons pas les enfants, mais nous utilisons tous les autres
pouvoirs que nous avons en tant que soutien pour contrôler leur vie.
Que
faudrait-il pour faire revivre la confiance parentale ?
De
nombreux parents aimeraient adopter une approche plus confiante mais
découvrent que c'est difficile de le faire. Les voix de la peur sont
fortes et incessantes, et les peurs ne sont jamais véritablement
sans fondement. Elles ne peuvent pas être complètement rejetées.
De terribles accidents arrivent, les adultes prédateurs existent, la
délinquance des autres enfants peut avoir des influences nocives,
les enfants et les adolescents font des erreurs (d'ailleurs comme
toutes personnes de tout âge) et l'échec peut blesser. Nous sommes
aussi par nature, conformiste. Il est difficile de nager à
contre-courant et prendre le risque d'être jugé de manière
négative sur notre façon d'être parent. Et pourtant, certains nage
à contre-courant, et le nombre des nageurs peut faire changer la
direction de la rivière.
Lors
des deux ou trois prochains articles je répondrais directement aux
questions qui ont été posé ici. Je parlerais de la confiance
parentale dont j'ai fait l'expérience en tant qu'enfant et des défis
de la confiance parentale aujourd'hui et la façon de faire face à
ces défis.
------------
Notes
[1] Devore, Murdock & Whiting (1968). In Richard B. Lee & Irven DeVore, Man the Hunter, p 337.
[2] Barry, Child, & Baron (1959), "Relation of Child Training to Subsistence Economy,"American Anthropologist, 61, 51-63.]
Notes
[1] Devore, Murdock & Whiting (1968). In Richard B. Lee & Irven DeVore, Man the Hunter, p 337.
[2] Barry, Child, & Baron (1959), "Relation of Child Training to Subsistence Economy,"American Anthropologist, 61, 51-63.]
Publié
le 16 Juillet 2009 par Peter Gray et traduit par Michaël Seyne le 15
Décembre 2015