vendredi 10 juillet 2015

Libre d'apprendre BLOG24, Le chef était une femme, Pour les Bateks, l'éducation est liée aux qualités de la direction

Le chef était une femme : Pour les Bateks, l'éducation est liée aux qualités de la direction
Qu'elle est l'ingrédient secret des Bateks pour la paix et la coopération ?

Tanyogn était le genre de personne qui aurait été un atout pour n'importe quelle communauté. Elle était très intelligente et était capable de voir au-delà des apparences, elle était capable de juger si un marchand de l'extérieur était en train d'essayer de les tromper. Elle avait des connaissances de sage-femme, de l'usage de plantes médicinales, des pratiques religieuses et de nombreux autres domaines qui étaient essentiels pour sa culture. Elle avait une personnalité puissante et la capacité de persuader. Elle participait vigoureusement aux discussions de la communauté avec une voix raisonnable que personne ne pouvait ignorer. Elle avait une énergie et une capacité de travail énorme. Quand un travail devait être fait elle était la première à s'y mettre et à encourager les autres à la rejoindre par son exemple.

Peut-être que la plus grande valeur de Tanyogn était son extraordinaire sens de la responsabilité et le soin qu'elle prodiguait aux autres, pas seulement envers les membres de sa famille mais pour tous les membres de la communauté et jusqu'aux étrangers qui venaient en visite. Elle prenait soin des malades et réconfortait les enfants en pleurs, peu importe à qui était l'enfant. Elle et son mari prenaient aussi soin de deux garçons orphelins. Quand les deux jeunes anthropologues, Kirk et Karen Endicott sont allé étudier sa communauté, elle les prit sous son aile et les protégea de leurs propres maladresses. Par exemple, quand elle les vit glisser et avoir des difficultés sur un chemin boueux prêt de leur camp, elle fit des marches avec une pelle dans le chemin, des marches dont aucun natif n'aurait eu besoin mais qui étaient utiles à Kirk et Karen.

Les Bateks de la Malaisie péninsulaire, comme un grand nombre de groupes de chasseurs et de cueilleurs à travers le monde, sont des personnes égalitaires. Elles donnent de la valeur à la liberté personnelle et elles sont rebutées par l'idée qu'une personne devrait avoir l'autorité pour contrôler les activités d'un autre. Elles prennent toutes les décisions qui concernent le groupe en usant du consensus, parfois seulement après des jours et des semaines de discussions et de débats. Ils n'ont pas de chef officiel mais ils ont des guides naturels qui sont des personnes qui par leurs personnalités, leurs connaissances et leurs compétences sont recherchées pour leurs conseils et sont écoutées bien plus attentivement que les autres. Pour les Bateks qui habitaient la vallée haute de la rivière Lebir, Tanyogn était ce genre de guide. En fait, elle était un guide tellement puissant chez les Bateks que même les Malaisiens voisins (qui sont les fermiers prédominant en Malaisie) se référaient à elle comme Penghulu, qui est le terme Malaisien pour chef de tribu.

L'histoire de Tanyogn et des Bateks est merveilleusement bien racontée dans le livre récent de Kirk et Karen Endicott qui s'intitule, Le chef était une femme, L'égalité de genre des Bateks de Malaisie (2008). Le livre est bien plus qu'une simple documentation sur l'égalité de genre dans une société humaine de longue date. Tandis que vous lisez, vous découvrez que le fait remarquable n'est pas que le chef soit une femme mais que le chef était une personne, qu'importe le genre, avec les qualités de Tanyogn. Dans quel genre de société une personne qui n'est pas compétitive, n'est pas intéressé par les status, n'est pas le moindre comportement menaçant mais est simplement serviable devient le chef le plus largement reconnu par les siens ? Le livre parle des conditions sociales qui permettent l'émergence de ce genre de chef.

Les Bateks sont des personnes, que ce soit des hommes ou des femmes, qui résistent à toutes les tentations d'agir d'une manière dominante. Leurs valeurs les plus élevées incluent l'autonomie individuelle, une égalité sociale, la coopération et le partage de toutes les richesses matérielles. Ils aiment jouer mais ils ne jouent jamais de manière compétitive parce que l'idée de battre une autre personne les répugne. Ils élèvent leurs enfants pour qu'ils soient à la fois autodirigés et respectueux des autres par la confiance qu'ils ont en eux pour faire leurs propres choix et en les traitant respectueusement à partir de leurs naissances. De bien des façons les Bateks enfreignent les stéréotypes sur la nature humaine qui ont souvent été décrété par les psychologues.

Et pourtant, pour ceux qui lisent la littérature d'anthropologie, l'histoire des Bateks n'est pas unique. C'est une histoire similaire de bien des manières aux histoires que les autres anthropologues ont décrites à propos des peuples de chasseurs et de cueilleurs. Le livre des Endicotts a un grand nombre de thèmes et de messages identiques qui ont été trouvé par exemple dans The Old Way (2006) de Elizabeth Marshall Thomas à propos des chasseurs-cueilleurs Juhansi du désert Kalahari ou encore du classique The Forest People (1968) de Colin Turnbull à propos des chasseurs-cueilleurs Mbutu de la forêt Ituri du Congo.

Quelle est cette chose qui a permis à ces sociétés de chasseurs-cueilleurs pendant peut-être des centaines de milliers d'années de résister à la tentation du statut, de la domination et de la violence qui dicte le cours de l'histoire pour le reste d'entre nous depuis une dizaine de milliers d'années ? Quel secret ont-ils pour réussir à vivre de manière pacifique et coopérative ? Que pouvons-nous apprendre d'eux qui pourrait nous sauver de nos pires instincts ?

J'ai passé un temps considérable à étudier la littérature des chasseurs-cueilleurs, pas simplement les livres populaires qui les concernent mais aussi les articles de journaux académiques. Mon étude m'a conduit à conclure que le dénominateur commun de toutes ces sociétés est l'existence d'un haut niveau d'esprit de jeu. Toutes ces sociétés, aussi loin que je peux le dire, optimisent la capacité humaine à jouer et à s'amuser d'une manière qui semble délibérément conçu pour combattre les tendances à la domination.

Mais six prochains articles constitueront une série que j'ai intitulé « Le jeu fait de nous des êtres humains ». Les articles concernent des sujets tels que le jeu du gouvernement, le jeu de la religion, le jeu du travail, le jeu de la parentalité et le jeu de l'éducation. Pour chaque sujet j'expliquerais ce que j'ai appris de mes recherches sur les chasseurs-cueilleurs et comment je pense que ces idées sont encore valables dans notre société d'aujourd'hui. Une idée englobante que je vais présenter est que : Une évolution majeure de la fonction du jeu est de combattre la domination et d'encourager la coopération. Pendant des centaines de milliers d'années, les chasseurs et les cueilleurs ont maximisé leur esprit de jeu de manière à leur permettre un haut degré de coopération qui est essentiel à leur survit.

Publié par Peter Gray le 26 Mai 2009, Traduit par Michaël Seyne le 10 Juillet 2015

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