mardi 6 octobre 2015

Libre d'apprendre BLOG28, Le jeu nous rend humain 4, Quand le travail est du jeu

Le jeu nous rend humain 4, Quand le travail est du jeu
Est-ce que votre travail est du jeu ? Il peut l'être.

Une des premières et peut-être la plus renforcée des leçons qu'un enfant apprend à l'école est que le travail et le jeu sont des opposés. Le travail est ce que l'on doit faire tandis que le jeu est ce que l'on veut faire. Le travail est pénible, le jeu est amusant. Le travail est essentiel, le jeu est futile. Pourtant lorsque nous quittons l'école et allons dans le « monde réel », certains d'entre nous, les chanceux, découvrent que le travail n'est pas l'opposé du jeu. En fait, le travail peut être du jeu, ou du moins, il peut être imprégné d'un haut degré d'esprit de jeu. Quand le travail est du jeu, il est humanisant. Il fait ressortir nos meilleures qualités et nous fait nous sentir bien. Quand le travail est un labeur, l'opposé du jeu, il peut être déshumanisant. Nous devenons des bêtes de somme et cela peu importe si la charge s'applique à nos muscles ou à nos esprits. Quelles sont les qualités qui peuvent rendre notre travail du jeu plutôt qu'une charge ?

Dans la série « Le jeu nous rend humain », j'avais au départ souhaité consacrer un essai au sujet du travail. Mais ensuite j'ai réalisé qu'un seul essai serait inadapté, j'ai alors décidé d'y consacrer deux essais qui seront juste un peu moins inadaptés. Dans ce premier essai, je me concentre sur la définition du jeu et comment un emploi rémunéré peut correspondre à cette définition. Dans le prochain essai, je décrirais comment les chasseurs-cueilleurs ont minimisé la distinction entre le travail et le jeu et je suggérerais des moyens par lesquels nous pourrions les imiter sur ce sujet.

Définition du jeu
Dans un essai précédent sur la définition du jeu, j'ai élaboré l'idée que le jeu est une activité structurée qui est (a) choisi par soi-même, (b) autodirigé, (c) imaginative ou créative, (d) intrinsèquement motivée et (e) produite dans un état d'esprit actif, alerte et sans stress. Lorsque n'importe quelle activité a ces caractéristiques, nous en faisons l'expérience comme d'un jeu. Le travail dans ce qu'il a de meilleur, peut avoir toutes ces caractéristiques à un haut niveau. Laissez-moi l'expliquer.

(a) Le travail peut être choisi par soi-même

Le jeu est ce que l'on choisit de faire, non pas ce que l'on doit faire, ainsi plus nous faisons l'expérience d'un sens du choix à propos de notre emploi, plus nous en faisons l'expérience comme un jeu. Si vous sentez que la nécessité vous impose de travailler dans tel ou tel boulot, alors il sera difficile pour vous de maintenir une attitude d'esprit de jeu à votre travail. Plus vous vous sentez libre de quitter votre travail, plus facile il sera pour vous de faire l'expérience de votre emploi comme d'un jeu. Le jeu est par définition, une chose que vous êtes toujours libre de quitter. Si vous ne pouvez pas le quitter, vous n'avez alors pas le sens du choix et l'activité n'est pas du jeu.

Il y a quelques années, Reed Larson et ses collègues ont conduit une recherche dans laquelle des hommes et des femmes mariés qui avaient tous un travail hors de leur maison, portaient des bipeurs sur eux tout au long de la journée et lorsque le bip sonnait, ils écrivaient sur un support des informations à propos de leurs activités et de leurs états d'esprits. Une découverte majeure fut que les femmes étaient plus heureuses que les hommes lorsqu'ils sont à leur travail hors de chez eux, et les hommes sont plus heureux que les femmes lorsqu'ils font des travaux à leur maison, comme cuisiner ou faire le ménage. [1]

Les chercheurs ont interprété cela comme étant lié à l'élément du choix. Du temps où cette étude a été réalisé, le travail hors de la maison était vu comme une plus grande nécessité pour les hommes que pour les femmes. Les hommes se sentaient souvent alourdis par un tel travail, parce qu'ils sentaient n'avoir pas de choix en ce qui le concerne. C'était de leur devoir de participer à la course folle pour soutenir leurs familles. En contraste, les femmes étaient relativement plus disposées à sentir que le travail hors de la maison était un choix libérateur, non un devoir et ce sentiment les a aidé à donner à leur travail une qualité de jeu. Pour le travail à la maison, l'opposé est vrai. Les femmes sentent avoir peu de choix en ce qui concerne le ménage, la cuisine et le reste, ce qui fait qu'elles se sentent parfois en colère ou s'ennuie lorsqu'elles sont amenées à participer à ces tâches. Les hommes, quant à eux, avaient plus le sentiment que leur travail domestique était optionnel. Ils aidaient à la maison avec galanterie en faisant quelque chose qui n'était pas de leur ultime responsabilité.
Comme la fait remarquer Larson et ses collègues, les découvertes correspondent à certains stéréotypes de genre dont il reste peut-être encore une parcelle de vérité dans notre culture. Les hommes « esclaves » au travail et rentre à la maison pour se détendre et se faire plaisir. Les femmes « esclaves » à la maison, sortent pour se détendre et se faire plaisir.

L'idée plus large montrée ici est que, peu importe le genre de travail que nous faisons, plus nous pouvons adopter l'attitude que nous n'avons pas l'obligation de faire ce travail, plus nous pouvons faire l'expérience du travail comme un jeu. L'esclavage est interdit aujourd'hui ce qui fait qu'en théorie nous pourrions tous avoir l'opportunité de choisir le travail par lequel nous avons un revenu, bien que je reconnaisse que les conditions économiques peuvent rendre cela très difficile.
Bien entendu, les enfants scolarisés font l'expérience d'absence de liberté en étant à l'école ou pas. Ils ont l'obligation par la loi d'y être. C'est une des raisons pour laquelle les enfants scolarisés font rarement l'expérience de leurs travaux scolaires comme étant du jeu. Dans notre société, nous ne donnons pas aux enfants les mêmes libertés fondamentales que nous donnons aux adultes.

(b & c) Le travail peut être auto-dirigé et créatif

Les joueurs sont des électrons libres. Non seulement ils choisissent librement le jeu qu'ils joueront ou pas, mais ils choisissent aussi de la façon dont ils le joueront. Ils doivent suivre les règles, mais à l'intérieure des lignes directrices de ces règles, chacun de leurs mouvements doivent être les leurs. Les joueurs ne sont pas les rouages d'une machine qui est contrôlée par quelqu'un d'autre. Il n'est pas surprenant de voir que les travailleurs qui sont libres de prendre des décisions relatives à leur travail ont plus de chances de faire l'expérience de leur travail comme d'un jeu que ceux qui n'ont pas cette liberté. Rien n'enlève plus l'esprit de jeu du travail que ne le fait d'être microgéré par un chef.

Une raison pour laquelle les enfants font l'expérience de leur travail scolaire comme étant à l'opposé du jeu vient de la surveillance étroite de ce travail. Les enfants scolarisés, bien plus que n'importe quels employés que je connaisse, sont constamment sous la houlette de leur chef (leur enseignant dans ce cas). On leur dit simplement ce qu'ils doivent faire, comment et quand le faire puis tous les détails de ce qu'ils font sont jugés et évalués par des critères qui ne sont pas les leurs. Ce genre de travail est vraiment l'opposé du jeu. Pourtant dans le monde réel à l'extérieure de l'école, dans les lieux où l'esclavage a été interdit, les personnes ne sont jamais contrôlés aussi étroitement.

Dans une étude classique sur la satisfaction au travail, le sociologue Melvin Kohn et ses collègues ont identifié une constellation de caractéristiques de travail auxquels ils se réfèrent comme de l'auto-direction professionnelle. Les emplois qui sont imprégnés de ces caractéristiques sont (a) compliqués plutôt que simple, (b) varié plutôt que routinier, (c) peut soumit à la surveillance des autres. [2] Ce sont bien sûr précisément les caractéristiques qui demande un haut degré de prise de décision et de créativité au travail. Kohn et ses collègues ont découvert que l'auto-direction était désirée et appréciée autant dans les emplois d'ouvriers que ceux de cadres. Bien que les chercheurs n'aient pas décrit leurs découvertes en terme de jeu, mon point de vue est que l'auto-direction professionnelle est cruciale pour l'esprit de jeu au travail. Que vous soyez un plombier ou un avocat, vous ferez l'expérience de votre travail comme d'un jeu en fonction du degré d'auto-direction professionnelle.

Kohn et ses collègues ont découvert que les travailleurs qui sont passé d'un travail ayant peu d'auto-direction professionnelle à un travail qui en a plus ont non seulement eu plus de plaisir au travail mais ont aussi changé psychologiquement à travers le temps. Ils devinrent plus souples et moins rigides à leur domicile ou lors de leurs activités de loisirs en même temps que dans leur travail. Leurs styles éducatifs à l'égard de leurs enfants devint plus démocratiques et moins autocratiques. Ils commencèrent à donner de la valeur à la créativité et à l'autonomie de leurs enfants plutôt que leur demander une obéissance aveugle. En d'autres mots (les miens, non ceux de Kohn), leur vision totale de la vie devint plus ludique que ce qu'elle était.


Le travail peut être intrinsèquement motivé

Le jeu est motivé par lui-même, ce qui veut simplement dire qu'il s'agit d'une activité amusante qui est réalisée pour le simple fait de la réaliser plutôt que pour obtenir un résultat final. Il s'agit de la construction d'un château de sable sur la plage que les joueurs apprécient et non pas le château de sable créé. S'ils sont vraiment en train de jouer, c'est le processus de gagner des points ou d'essayer de les gagner qui plaît aux joueurs de tennis et non pas les points eux-mêmes. En d'autres mots, lors d'un jeu, c'est les activités elles-mêmes qui sont la source du plaisir, tout produit qui pourrait en émerger en un effet secondaire.

Le travail ne peut jamais être complètement motivé par lui-même. Par définition, l'objectif du travail est de produire une valeur finale, tel que réparer la plomberie ou obtenir un succès à la défense de son client lors d'un procès, ou produire un salaire à ramener chez soi pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Pourtant les motivations extrinsèques et intrinsèques ne s'excluent pas mutuellement. Vous pouvez travailler pour une valeur finale et en même temps faire attention et apprécier le processus. Plus le niveau auquel vous consacrez votre attention au processus augmente, plus votre travail est un jeu.

Si je me concentrais seulement sur le résultat final de mon travail d'auteur qui est une œuvre publiée ou le revenu issu de cette œuvre, alors écrire serait un fardeau. Quand je faisais cela, alors l'écriture elle-même serait seulement un moyen pour atteindre une fin. Dans ce cas, je trouve qu'il est difficile de commencer, et lorsque je commence, l'écriture est traînante et monotone. L'écriture est alors un travail et pas du jeu. Pour faire de l'écriture un jeu, je dois retirer mon attention du résultat. Bien entendu, je n'oublie pas complètement le résultat final, mais je le pose sur une étagère au fond de mon esprit de manière à pouvoir mettre mon attention sur le processus qui est le processus de génération d'idées et de compositions de phrases qui permettent de les exprimer. Je peux me convaincre moi-même que le résultat final n'a pas d'importance, qu'écrire est tellement amusant que ça a de la valeur en soi, même si l’œuvre n'est jamais publiée, qu'elle n'a jamais aucun effet dans le monde et que je n'y gagne pas un centime. De manière paradoxale, quand je réussis à prendre cette attitude de jeu, le résultat final est bien meilleur que lorsque je ne le fais pas. Et la même chose est vraie pour toutes les tâches que je fais, que ce soit laver le linge, cuisiner ou couper l'herbe.

Lorsque nous sommes exclusivement orientés vers un objectif, nous voyons l'activité nécessaire pour achever ce but comme un mal nécessaire, alors nous l’exécutons de la manière la plus minimale possible que nous estimons acceptables. Nous faisons juste ce qui est nécessaire pour gagner son salaire, pour satisfaire le patron ou pour préparer un repas que votre famille ne rejettera pas. À l'école, nous faisons juste ce qui est nécessaire pour obtenir la note que nous estimons choisi comme objectif. En contraste, quand nous nous permettons à nous-même d'être absorbé par le processus comme un jeu, nous accomplissons parfois bien plus. Par simple plaisir nous pouvons produire bien plus que ce qu'il était prévu de produire originalement, et le produit final pourrait être bien meilleur. Cela pourrait même devenir une création artistique. Cela peut être vrai alors que vous réparez la plomberie, que vous coupez l'herbe, que vous faites un repas, que vous réalisez un dossier d'affaire ou que vous écrivez un essai.


(e) Le travail peut comporter un état mental vif, attentif et sans stress

La caractéristique finale découle naturellement des autres. La prise de décision, la créativité et l'attention sur le processus qui est caractéristique du jeu nécessite et produit en même temps une vigilance mentale. Une réduction de l'attention sur la finalité et les autres évaluations réduit ou même élimine notre peur de l'échec. Pour la plupart d'entre nous, notre travail n'a pas de conséquence de vie ou de mort, ce qui fait que les peurs que nous avons de l'échec à peu de chances d'être porté à exagération. Toutefois, même des personnes telles que les chirurgiens, les pompiers ou les policiers qui peuvent se retrouver dans des situations de vie ou de mort ont une plus grande chance d'avoir un succès en réduisant le sentiment de stress s'ils font attention au processus.
Que pourrions-nous faire en tant que société qui augmente son esprit de jeu et réduit le fardeau du travail ? C'est là que je pense que nous avons beaucoup à apprendre des sociétés de chasseurs-cueilleurs.

------------Notes
[1] Larson, R. J., Richards, M. H., & Perry-Jenkins, M. (1994). Divergent worlds: The daily and emotional experience of mothers and fathers in the domestic and public spheres.
Journal of Personality and Social Psychology, 67, 1034-1046.
[2] Kohn, M. L. (1980). Job complexity and adult personality. In N. J. Smelser & E. H. Erikson (Eds.), 
Theories of work and love in adulthood. Cambridge, MA: Harvard University Press. Also, Kohn, M. L., & Slomczynski, K. M. (1990). Social structure and self-direction: A comparative analysis of the United States and Poland. Cambridge, MA: Basil Blackwell.


Publié le 25 Juin 2009 par Peter Gray



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