jeudi 9 avril 2015

Libre d'apprendre BLOG17 - La valeur du jeu 2 : La façon dont le jeu encourage le raisonnement

La valeur du jeu 2 : La façon dont le jeu encourage le raisonnement
Le jeu améliore la capacité à résoudre des problèmes en élevant notre imagination


Il y a une vingtaine d'années, en Angleterre, deux chercheurs ont signalé une série d'expériences qui leur on permit de montrer qu'un enfant très jeune pouvait, dans le contexte du jeu, résoudre des problèmes logiques qu'ils semblaient n'être pas capables de résoudre dans un contexte sérieux.

Ils utilisèrent des problèmes de syllogismes, le type classique de problème logique décrit originellement par Aristote. Un syllogisme nécessite qu'une personne associe l'information de deux hypothèses pour decider si une conclusion particulière est vraie, fausse ou indéterminée (qui ne peut pas être déterminé à partir des hypothèses). Les syllogismes sont généralement simples quand les hypothèses coïncident avec une réalité concrète, mais peuvent être plus difficiles quand les hypothèses sont contrefactuelles (en contradiction avec la réalité). La croyance dominante au moment où les chercheurs britanniques ont conduit ces expériences était que l'habileté à résoudre des syllogismes contrefactuels dépendait d'un type de raisonnement dont le jeune enfant seraient complètement dépourvu.

Voici un exemple de la sorte de syllogisme contrefactuel que les chercheurs ont utilisé :
Tout les chats aboient.Biscuit est un chat.
Est-ce que
biscuit aboie ?

Des recherches précédentes, ce qui inclut les recherches du fameux psychologue du développement suisse Jean Piaget ont montré que des enfants de moins de 10 ou 11 ans échouent régulièrement à essayer de résoudre correctement de tels syllogismes (ce qui veut dire qu'ils échouent à donner les réponses que les logiciens considèrent comme étant les réponses correctes). Quand les chercheurs britanniques présentent des syllogismes à de jeunes enfants avec un ton de voix sérieux, les enfants répondent comme Piaget et d'autres ont pu s'y attendre. Il disent des choses comme, "Non, les chats font miaou, ils n'aboient pas." Ils agissent comme s'ils étaient incapables de penser à une hypothèse qui ne serait pas adéquate avec leurs expériences du monde réel. Mais, quand les chercheurs ont présenté les mêmes problèmes avec un ton de voix avec un esprit de jeu, en utilisant des mots qui rendaient clair le fait qu'ils étaient en train de parler d'un monde imaginaire, un enfant de 4 ans résolut facilement les problèmes, et même de nombreux enfants de deux ans le résolurent.[1] Ils dirent "Oui, biscuit aboie."

Pensez-y, Un enfant de quatre ans dans un jeu résout un problème logique qu'il n'est pas supposé être capable de résoudre avant d'avoir atteint l'âge de 10 ou 11 ans.


Comment un état d'esprit de jeu mène de jeunes enfants aux "bonnes" réponses des syllogismes

Piaget, ainsi que les autres philosophes et psychologues de son temps ont généralement délimité clairement une séparation entre deux façons de raisonner, le raisonnement concret et le raisonnement abstrait (que Piaget a appelé le raisonnement hypothético-déductif). Ils affirmèrent que le premier raisonnement dépendait de la relation d'une expérience précédente directe, concrète avec des conditions qui sont pensées et le deuxième raisonnement dépendrait d'une logique formelle qui aurait une fondation mathématique et qui peut être appliquée aux problèmes avec leur substance concrète et ce quelle que soit l'expérience (ou l'absence d'expérience) de la personne.

Quelques philosophes et psychologues ont affirmé, en allant plus loin, que le raisonnement concret se développe naturellement chez presque toutes les personnes tandis que le raisonnement abstrait requiert un entraînement spécial qui est d'un type propre aux écoles occidentales. Les autres, ce qui inclut Piaget, ont soutenu que le raisonnement abstrait se développe naturellement, mais que généralement il n'émerge chez les enfants qu'à partir de l'âge de 11 ans. Selon Piaget, les jeunes enfants ne peuvent pas résoudre des syllogismes contrefactuels parce qu'ils leur manquent la capacité de raisonnement abstrait. Sauf que Piaget avait tort.

Aujourd'hui, de nombreux, si ce n'est la plupart, des psychologues du développement et de la cognition, y compris moi-même, rejettent la distinction entre le raisonnement concret et abstrait. Nous affirmons que ce que nous appelons le raisonnement abstrait, prend place lors de transformations mentales qui apparaissent lorsque des problèmes abstraits deviennent des problèmes concrets, c'est-à-dire, un problème qui ressemble à un problème qu'une personne a déjà rencontré et résolu dans le monde réel. Ces transformations mentales impliquent l'imagination, dont même de très jeunes enfants sont capables. De ce point de vue, tout le raisonnement humain est concret, c'est juste que certains problèmes impliquent plus d'imagination que d'autres de manière à pouvoir leur donner une forme concrète. [2]
Le jeu humain, par sa définition, implique l'imagination (voir mon premier article sur la valeur du jeu). Le jeu nous mène naturellement à penser à des choses comme elles pourraient être plutôt que simplement comme elles sont. Dans un état d'esprit de jeu il est facile pour n'importe qui d'imaginer et de penser à un monde dans lequel des personnes peuvent voler, dans lequel les machines peuvent nous transporter dans le passé ou dans lequel tous les chats aboient. Les jeunes enfants sont des maîtres du jeu, il n'est donc pas surprenant de les voir résoudre des syllogismes contrefactuels dans le contexte du jeu.

Pourquoi un enfant de 11 ans peut-il résoudre des syllogismes contrefactuels dans un contexte sérieux tandis qu'un enfant de 4 ans a besoin d'un contexte de jeu ? Je pense que la réponse a peu à voir avec la différence d'âge pour l'habileté à raisonner et plus à voir avec les différentes compréhensions des objectifs des chercheurs qui posent des questions. Un enfant de quatre ans a du mal à comprendre les objectifs du chercheur. Ils croient que quand un adulte leur pose une question avec un ton sérieux dans la voix, ils veulent une réponse sérieuse, les réponses sérieuses sont liées à la vérité du monde réel.

Alors ils répondent en conséquence "Les chats n'aboient pas". D'un autre côté, les enfants de 11 ans, particulièrement les enfants de 11 ans qui ont été à l'école, reconnaissent la question comme n'étant pas liés à la réalité mais comme un test de logique, alors ils acceptent l'hypothèse contrefactuelle et donnent la réponse que le chercheur veut. Ils réalisent que c'est un jeu que le chercheur est en train de jouer qui est lié à un monde imaginaire et non avec le monde réel. Un enfant de quatre ans reconnaît la qualité du jeu seulement quand le chercheur le montre clairement, à travers le ton de sa voix et en utilisant des mots qui montrent qu'il s'agit d'un jeu.

Les chercheurs ont trouvé que les adultes non scolarisés dans d'autres cultures "échouent" aux syllogismes contrefactuels de la même façon qu'un jeune enfant "échoue" dans notre culture. Dans le passé, cela a été interprété comme un indice que la scolarité était nécessaire pour le développement de la pensée abstraite. Mais ma supposition est que ces adultes qui "échouent" sur de tels problèmes est qu'il s'agit de la même raison pour laquelle les enfants "échouent" dans notre culture, ils interprètent mal les intentions des questions. Je parie que si les chercheurs posaient les mêmes problèmes à des adultes qui n'ont pas été scolarisé dans un esprit de jeu, ils les résoudraient facilement.
Mon argument principal ici est que le jeu entraîne automatiquement des raisonnements hypothétiques. Il nous conduit à penser à des mondes imaginaires, où tout est possible, et de raisonner à partir de ces possibilités plutôt que de limiter nos pensées aux seules choses qui soit vraies dans l'immédiat ici et maintenant. De cette manière, le jeu soutient la sorte de pensée qui est cruciale non pas seulement pour la science théorique mais pour toutes les planifications à propos du futur, dans lesquels nous devons imaginer les événements possibles et penser à la façon dont on pourrait avoir à interagir avec ces événements.

S'il vous plaît, ne tirez pas une conclusion fausse de cette petite discussion. Je n'affirme pas qu'il s'agit d'une bonne idée, pédagogiquement, de provoquer délibérément des états d'esprit de jeu chez l'enfant comme les chercheurs l'ont fait dans leurs expériences de manière à lui permettre d'améliorer leur raisonnement. Les enfants jouent naturellement et c'est par le jeu naturel que l'enfant pratique le raisonnement. L'enfant qui est manipulé dans le jeu par des enseignants qui pensent ainsi pouvoir améliorer leur raisonnement, va apprendre à résister à ces manipulations. Sur le long terme, le jeu est seulement un jeu s'il est choisi et dirigé par soi-même.

Les enfants pratiquent le raisonnement à leur propre façon, en choisissant eux-même leurs propres jeux. Nous ne pouvons pas le faire pour eux et ne devrions-nous pas essayer. Comme je l'ai affirmé dans des acomptes précédents (voir l'article sur l'environnement naturel de l'auto-apprentissage chez l'enfant), tout ce que nous avons besoin de faire est de fournir des lieux où l'enfant peut jouer et explorer naturellement en toute sécurité parmi des groupes d'âges mixtes. Ils s'occuperont du reste.


Comment un esprit de jeu permet aux étudiants d'université de résoudre un problème de perspicacité classique

Voici un autre exemple d'expérience qui montre le pouvoir de l'attitude de l'esprit de jeu pour améliorer la résolution de problèmes. Dans ce cas, les sujets étaient des étudiants d'université et le problème était un problème de perspicacité classique, qui s'appelle le problème de la bougie. Dans cette expérience, on donne aux sujets des petites bougies, des allumettes et une boîte de punaises et on leurs demandes de fixer la bougie sur un tableau d'affichage d'une telle manière que la bougie puisse être allumée et bruler correctement.

Ils n'ont pas la permission d'utiliser d'autres objets que ceux qui leur ont été donnés. Le truc pour résoudre le problème est de réaliser que les punaises peuvent être retirées de la boîte qui les contient et que la boîte peut elle-même être utilisée comme une étagère qui porterait la bougie. Dans une situation de test typique, très peu de personnes résolvent ce problème. Ils échouent à voir que la boîte de punaises peut être utilisé pour quelque chose d'autres que comme un contenant pour les punaises.

Dans l'expérience, certains sujets furent exposés à une comédie burlesque pendant une courte période et juste avant qu'on leur présente le problème de la bougie, tandis que d'autres virent un film sérieux et d'autres encore ne virent pas de film du tout. Le résultat est que ceux qui ont regardé le film comique à grandement augmenté le pourcentage des sujets qui ont résolu le problème. [3] L'interprétation des chercheurs fut qu'une humeur heureuse élargit la pensée et mène à davantage de perspicacité. Ma propre interprétation est similaire mais insiste sur le rôle du jeu. Je pense que le film humoristique met le sujet dans un état d'esprit de jeu et que cet esprit ludique, et non simplement la bonne humeur, amène à un élargissement de la façon de penser.

Dans le jeu, nous voyons régulièrement des objets et des informations d'une nouvelle façon. Dans un état d'esprit sérieux, que l'on soit heureux ou pas, nous échouons à imaginer qu'une boîte de punaise pourrait être une étagère, mais dans un esprit de jeu une telle imagination vient facilement. Dans le jeu nous imaginons régulièrement des objets être autre chose que ce pour quoi ils ont été originellement conçu. Dans le jeu, un balai peut être un cheval, un dé à coudre peut être un évêque et une boîte de punaise peut facilement être une étagère.

Je pense que l'un des objectifs principaux du jeu dans notre espèce est de promouvoir l'utilisation de notre imagination pour résoudre des problèmes. Nous semblons être le seul animal qui pense d'une manière imaginative. L'imagination fournit les fondations de notre inventivité, notre créativité et notre habileté à planifier le futur. Je crois que notre immense capacité et désir de jouer viennent de l'évolution pour en parti soutenir nos capacités à inventer, créer et planifier. Quand nous permettons aux enfants de larges opportunités pour le jeu réel, nous leur fournissons des opportunités d'exercer et de développer ses capacités. Quand nous permettons à nous-même de prendre une attitude ludique dans notre travail ou notre vie domestique, nous nous fournissons à nous-même un contexte pour résoudre des problèmes qui seraient autrement intraitables.

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References
1. Dias, M. G., & Harris, P. L. (1988). The effect of make-believe play on deductive reasoning. 
British Journal of Developmental Psychology, 6, 207-221.
2. I elaborate on the idea that "abstract" thought is really just concrete thought coupled with imagination in my textbook, 
Psychology, 5th edition (2007), pp 348-351.
3. Isen, A. M., Daubman, K. A., & Nosicki, G. P. (1987). Positive affect facilitates creative problem solving. 
Journal of Personality and Social Psychology, 52, 1122-1131.


Publié par Peter Gray le 04 Décembre 2008, Traduit en français par Michaël Seyne le 09 Avril 2015

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