La
valeur du jeu 2 : La façon dont le jeu encourage le raisonnement
Le
jeu améliore la capacité à résoudre des problèmes en élevant
notre imagination
Il
y a une vingtaine d'années, en Angleterre, deux chercheurs ont
signalé une série d'expériences qui leur on permit de montrer
qu'un enfant très jeune pouvait, dans le contexte du jeu, résoudre
des problèmes logiques qu'ils semblaient n'être pas capables de
résoudre dans un contexte sérieux.
Ils
utilisèrent des problèmes de syllogismes, le type classique de
problème logique décrit originellement par Aristote. Un syllogisme
nécessite qu'une personne associe l'information de deux hypothèses
pour decider si une conclusion particulière est vraie, fausse ou
indéterminée (qui ne peut pas être déterminé à partir des
hypothèses). Les syllogismes sont généralement simples quand les
hypothèses coïncident avec une réalité concrète, mais peuvent
être plus difficiles quand les hypothèses sont contrefactuelles (en
contradiction avec la réalité). La croyance dominante au moment où
les chercheurs britanniques ont conduit ces expériences était que
l'habileté à résoudre des syllogismes contrefactuels dépendait
d'un type de raisonnement dont le jeune enfant seraient complètement
dépourvu.
Voici
un exemple de la sorte de syllogisme contrefactuel que les chercheurs
ont utilisé :
Tout
les chats
aboient.Biscuit
est un chat.
Est-ce que biscuit aboie ?
Est-ce que biscuit aboie ?
Des
recherches précédentes, ce qui inclut les recherches
du fameux psychologue du développement suisse Jean Piaget ont
montré que des enfants de moins de 10 ou 11 ans échouent
régulièrement à essayer de résoudre correctement de tels
syllogismes (ce qui veut dire qu'ils échouent à donner les réponses
que les logiciens considèrent comme étant les réponses correctes).
Quand les chercheurs britanniques présentent des syllogismes à de
jeunes enfants avec un ton de voix sérieux, les enfants répondent
comme Piaget et d'autres ont pu s'y attendre. Il disent des choses
comme, "Non,
les chats font miaou, ils n'aboient pas."
Ils agissent comme s'ils étaient incapables
de penser à une hypothèse qui ne serait pas adéquate avec leurs
expériences du monde réel. Mais, quand les chercheurs ont présenté
les mêmes
problèmes avec un ton de voix avec un esprit de jeu, en utilisant
des mots qui rendaient
clair le fait qu'ils étaient
en train de parler d'un monde imaginaire, un enfant de 4 ans résolut
facilement les problèmes, et même de nombreux enfants de deux ans
le résolurent.[1] Ils dirent "Oui,
biscuit aboie."
Pensez-y,
Un enfant de quatre ans dans un jeu résout un problème logique
qu'il n'est pas supposé être capable de résoudre avant d'avoir
atteint l'âge de 10 ou 11 ans.
Comment
un état d'esprit de jeu mène de jeunes enfants aux "bonnes"
réponses des syllogismes
Piaget,
ainsi que
les autres
philosophes et psychologues de son temps ont généralement délimité
clairement une
séparation entre deux façons
de raisonner, le raisonnement concret et le raisonnement abstrait
(que Piaget a
appelé le raisonnement hypothético-déductif).
Ils affirmèrent que le premier raisonnement dépendait de
la relation d'une
expérience précédente directe, concrète
avec des
conditions qui sont pensées
et
le deuxième raisonnement dépendrait d'une logique formelle qui
aurait une fondation mathématique et qui peut être appliquée
aux problèmes avec
leur substance concrète et ce quelle
que soit l'expérience (ou l'absence d'expérience) de la personne.
Quelques
philosophes et psychologues ont affirmé, en allant plus loin, que le
raisonnement concret se développe
naturellement chez
presque toutes les personnes tandis que le raisonnement abstrait
requiert un entraînement spécial qui est d'un type propre aux
écoles occidentales. Les autres, ce qui inclut Piaget, ont soutenu
que le raisonnement abstrait se développe naturellement, mais que
généralement il n'émerge chez les enfants qu'à partir de l'âge
de 11 ans. Selon Piaget, les jeunes enfants ne peuvent pas résoudre
des syllogismes contrefactuels parce qu'ils leur manquent la capacité
de raisonnement abstrait. Sauf que Piaget avait tort.
Aujourd'hui,
de nombreux, si ce n'est la plupart, des psychologues du
développement et de la cognition, y
compris moi-même,
rejettent
la distinction entre le raisonnement concret et abstrait. Nous
affirmons que ce
que nous appelons le
raisonnement abstrait,
prend place
lors
de transformations mentales qui apparaissent lorsque des problèmes
abstraits deviennent des problèmes concrets, c'est-à-dire, un
problème qui ressemble à un problème qu'une personne a déjà
rencontré et résolu dans le monde réel. Ces transformations
mentales impliquent l'imagination, dont même de très jeunes enfants
sont capables. De ce point de vue, tout le raisonnement humain est
concret, c'est juste que certains problèmes impliquent plus
d'imagination que d'autres de manière à pouvoir leur donner une
forme concrète. [2]
Le
jeu humain, par sa définition, implique l'imagination (voir mon
premier article sur la valeur du jeu). Le
jeu nous mène naturellement à penser à des choses comme elles
pourraient
être plutôt que simplement comme elles sont. Dans un état d'esprit
de jeu il est facile pour n'importe qui d'imaginer et de penser à un
monde dans lequel des personnes peuvent voler, dans lequel les
machines peuvent nous transporter dans le passé ou dans lequel tous
les chats aboient. Les jeunes enfants sont des maîtres du jeu, il
n'est donc pas surprenant
de les voir résoudre des syllogismes contrefactuels dans le contexte
du jeu.
Pourquoi
un enfant de 11 ans peut-il résoudre des syllogismes contrefactuels
dans un contexte sérieux tandis qu'un enfant de 4 ans a
besoin d'un contexte de jeu ? Je pense que la réponse a
peu à voir avec la différence d'âge pour l'habileté à raisonner
et plus à voir avec les différentes compréhensions des objectifs
des chercheurs qui posent
des questions. Un enfant de quatre ans a
du mal à comprendre les objectifs du
chercheur. Ils croient que quand un adulte leur pose une question
avec un ton sérieux
dans la voix, ils veulent une réponse sérieuse, les réponses
sérieuses sont liées
à la vérité du monde réel.
Alors
ils répondent en conséquence "Les chats n'aboient pas".
D'un autre côté, les enfants de 11 ans, particulièrement les
enfants de 11 ans qui ont été à l'école, reconnaissent la
question comme n'étant pas liés
à la réalité mais comme un test de logique, alors ils acceptent
l'hypothèse contrefactuelle et donnent
la réponse que le chercheur veut. Ils réalisent que c'est un jeu
que le chercheur est en train de jouer qui est lié à un monde
imaginaire et non avec le monde réel. Un enfant de quatre ans
reconnaît
la qualité du jeu seulement quand le chercheur le montre clairement,
à travers le ton de sa voix et en utilisant des mots qui montrent
qu'il s'agit d'un jeu.
Les
chercheurs ont trouvé que les adultes non
scolarisés
dans
d'autres cultures "échouent" aux syllogismes
contrefactuels de la même façon qu'un jeune enfant "échoue"
dans notre culture. Dans le passé, cela a été interprété comme
un indice que la scolarité était nécessaire pour le développement
de la pensée abstraite. Mais ma supposition est que ces adultes qui
"échouent" sur de tels problèmes est qu'il s'agit de la
même raison pour laquelle les enfants "échouent" dans
notre culture, ils interprètent mal les intentions des questions. Je
parie que si les chercheurs posaient les mêmes problèmes à des
adultes qui n'ont pas été scolarisé dans un esprit de jeu, ils les
résoudraient facilement.
Mon
argument principal ici est que le jeu entraîne automatiquement des
raisonnements hypothétiques. Il
nous conduit à penser à des mondes imaginaires, où tout est
possible, et de raisonner à partir de ces possibilités plutôt que
de limiter nos pensées aux seules choses qui soit vraies dans
l'immédiat ici et maintenant. De cette manière, le jeu soutient la
sorte de pensée qui est cruciale non pas seulement pour la science
théorique mais pour toutes les planifications à propos du futur,
dans lesquels nous devons imaginer les événements possibles et
penser à la façon dont on pourrait avoir à interagir avec ces
événements.
S'il
vous plaît,
ne tirez pas une conclusion fausse de cette petite discussion. Je
n'affirme pas qu'il s'agit d'une bonne idée, pédagogiquement, de
provoquer délibérément des états d'esprit de jeu chez l'enfant
comme les chercheurs l'ont fait dans leurs expériences de manière à
lui permettre d'améliorer leur raisonnement. Les enfants jouent
naturellement et c'est par le jeu naturel que l'enfant pratique le
raisonnement. L'enfant qui est manipulé dans le jeu par des
enseignants qui pensent ainsi pouvoir améliorer leur raisonnement,
va apprendre à résister à ces manipulations. Sur le long terme, le
jeu est seulement un jeu s'il est choisi et dirigé par soi-même.
Les
enfants pratiquent le raisonnement à leur propre façon, en
choisissant eux-même leurs propres jeux. Nous ne pouvons pas le
faire pour eux et ne devrions-nous pas essayer. Comme je l'ai affirmé
dans des acomptes précédents (voir l'article sur l'environnement
naturel de l'auto-apprentissage chez l'enfant), tout ce que nous
avons besoin de faire est de fournir des lieux où
l'enfant peut jouer et explorer naturellement en toute sécurité
parmi des groupes d'âges
mixtes.
Ils s'occuperont du reste.
Comment
un esprit de jeu permet aux
étudiants
d'université
de
résoudre un problème de perspicacité classique
Voici
un autre exemple d'expérience qui montre le pouvoir
de l'attitude de l'esprit de jeu pour améliorer la résolution de
problèmes. Dans ce cas, les sujets étaient des étudiants
d'université et le problème était un problème de perspicacité
classique, qui s'appelle le
problème de la bougie.
Dans cette expérience, on donne aux sujets des petites bougies, des
allumettes et une boîte de punaises et on leurs demandes de fixer la
bougie sur un tableau d'affichage d'une telle manière que la bougie
puisse être allumée et bruler correctement.
Ils
n'ont pas la permission d'utiliser d'autres objets que ceux qui
leur ont
été donnés.
Le truc pour résoudre le problème est de réaliser que les punaises
peuvent être retirées
de la boîte
qui les contient et que la boîte
peut elle-même être utilisée
comme une étagère qui porterait la bougie. Dans une situation de
test typique, très peu de personnes résolvent ce problème. Ils
échouent à voir que la boîte
de punaises peut être utilisé pour quelque chose d'autres
que comme un contenant pour les punaises.
Dans
l'expérience, certains sujets furent exposés à une comédie
burlesque pendant une courte période et juste avant qu'on leur
présente le problème de la bougie, tandis que d'autres virent un
film sérieux et d'autres encore ne virent pas de film du tout. Le
résultat est que ceux qui ont regardé le film comique à grandement
augmenté le pourcentage des sujets qui ont résolu le problème. [3]
L'interprétation des chercheurs fut qu'une humeur heureuse élargit
la pensée et mène à davantage de perspicacité. Ma propre
interprétation est similaire mais insiste sur le rôle du jeu. Je
pense que le film humoristique
met le sujet dans un état d'esprit de jeu et que cet esprit ludique,
et non simplement la bonne humeur, amène à un élargissement de la
façon de penser.
Dans
le jeu, nous voyons régulièrement des objets et des informations
d'une nouvelle façon. Dans un état d'esprit sérieux, que l'on soit
heureux ou pas, nous échouons à imaginer qu'une boîte
de punaise pourrait
être une étagère, mais dans un esprit de jeu une telle imagination
vient
facilement. Dans le jeu nous imaginons régulièrement des objets
être autre chose que ce pour quoi ils ont été originellement
conçu. Dans le jeu, un balai peut être un cheval, un dé à coudre
peut être un évêque et une boîte
de punaise peut facilement être une étagère.
Je
pense que l'un des objectifs principaux du jeu dans notre espèce est
de promouvoir l'utilisation de notre imagination pour résoudre des
problèmes. Nous semblons être le seul animal qui pense d'une
manière imaginative. L'imagination fournit les fondations de notre
inventivité, notre créativité et notre habileté à planifier le
futur. Je crois que notre immense capacité et désir de jouer
viennent de l'évolution pour en parti soutenir nos capacités à
inventer, créer et planifier. Quand nous permettons aux enfants de
larges opportunités pour le jeu réel, nous leur fournissons des
opportunités d'exercer et de développer ses capacités. Quand nous
permettons à nous-même de prendre une attitude ludique dans notre
travail ou notre vie domestique, nous nous fournissons à nous-même
un contexte pour résoudre des problèmes qui seraient autrement
intraitables.
-------------
References
1. Dias, M. G., & Harris, P. L. (1988). The effect of make-believe play on deductive reasoning. British Journal of Developmental Psychology, 6, 207-221.
2. I elaborate on the idea that "abstract" thought is really just concrete thought coupled with imagination in my textbook, Psychology, 5th edition (2007), pp 348-351.
3. Isen, A. M., Daubman, K. A., & Nosicki, G. P. (1987). Positive affect facilitates creative problem solving. Journal of Personality and Social Psychology, 52, 1122-1131.
References
1. Dias, M. G., & Harris, P. L. (1988). The effect of make-believe play on deductive reasoning. British Journal of Developmental Psychology, 6, 207-221.
2. I elaborate on the idea that "abstract" thought is really just concrete thought coupled with imagination in my textbook, Psychology, 5th edition (2007), pp 348-351.
3. Isen, A. M., Daubman, K. A., & Nosicki, G. P. (1987). Positive affect facilitates creative problem solving. Journal of Personality and Social Psychology, 52, 1122-1131.
Publié
par Peter Gray le
04 Décembre
2008, Traduit en français par Michaël Seyne le
09 Avril 2015
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