lundi 18 août 2014

Libre d'apprendre BLOG09 : Pourquoi devrions nous arrêter d'isoler les enfants par groupe d'âge. Partie 1

Pourquoi devrions nous arrêter d'isoler les enfants par groupe d'âge. 
Partie 1 : la valeur du jeu dans la zone proximale de développement
La séparation par groupe d'âge interfère avec le moyen naturel d'apprentissage chez l'enfant.

Un des aspects les plus étranges, selon moi, qui est le plus nuisible dans la façon dont l'on traite les enfants aujourd'hui est ce penchant à les isoler en les séparant par groupe d'âge. Nous faisons cela, non seulement dans les écoles, mais aussi de plus en plus dans les environnements extérieurs à l'école. En faisant cela, nous privons les enfants d'un constituant de grande valeur à leur auto-éducation naturelle.

La méthode scolaire d'isolement par âge est devenue dominante à peu prêt au même moment de l'histoire quand la mode des chaînes d'assemblage en usine devint dominante. L'analogie implicite est plutôt évidente. Le système scolaire à classement traite l'enfant comme s'ils étaient des objets sur une chaîne d'assemblage, qui se déplace en s’arrêtant d'un arrêt à un autre (d'un niveau à un autre) le long d'un tapis roulant, à une vitesse constante. À chacun des arrêts, un ouvrier d'usine (un enseignant) ajoute de nouveaux composants (unité de connaissance) au produit. À la fin de la chaîne, l'usine recrache un être humain neuf et adulte, tout construit selon les spécifications de l'industriel (les éducateurs professionnels).

Bien sur, toute personne qui a déjà eu un enfant ou qui les connaît, ce qui inclut tous ceux qui travaillent dans nos écoles de séparation par âge et niveaux savent que ce point de vue d'une chaîne d'assemblage dans le développement de l'enfant est complètement fausse. Les enfants ne sont pas des produits passifs auxquels nous pouvons ajouter des composants. Les enfants ne sont pas des adultes inachevés qui ont besoin d'être construit petit à petit en suivant un ordre d'étapes logique. Les enfants sont des êtres humains complets de leur propre droit, qui demandent constamment à contrôler leur propre vie et qui, en dépit de ce que nous les faisons traverser, insistent à apprendre ce qu'ils veulent apprendre et pratique les compétences qu'ils veulent pratiquer. Nous ne pouvons pas les arrêter. Il serait bien préférable que nous soyons capables d'aller dans leur sens plutôt que de nous y opposer.


Dans les acomptes précédents j'ai décrit l'environnement dans lequel les enfants s'éduquent par eux-même, sans la direction ou l'encouragement des adultes. En particulier, j'ai discuté de l'auto-éducation qui avait lieu dans les groupes de chasseurs-cueilleurs (lien) et comme elle se déroule dans les écoles d'aujourd'hui conçu spécialement pour l'auto-éducation, comme l'école de Sudbury Valley (liens). Une fonction connue de ce genre d'environnement est de permettre à l'enfant d’interagir avec les autres dans un large éventail d'âges. Les anthropologistes ont affirmé que le mélange libre des âges est la clé à l'auto-éducation des enfants chasseurs-cueilleurs et Daniel Greenberg a longtemps affirmé que le mélange libre des âges est la clé de l'auto-éducation à l'école Sudbury Valley qu'il a aidé à fonder [1].

Il y a quelques années, Jay Feldman (qui était alors un étudiant diplômé travaillant avec moi) et moi-même avons conduit quelques études sur les interactions qui prennent place dans le mélange des âges à l'école Sudbury Valley dans le but de (a) déterminer à quel point ce mélange se mettait en place à l'école, (b) identifier le contexte dans lequel le mélange des âges se met en place et (c) identifier les moyens par lesquels le mélange des âges contribue à l'auto-éducation.

Quand on leur en donne la possibilité, les enfants passent un temps considérable à interagir avec les autres qui sont plus vieux et plus jeunes qu'eux-même.

Sudbury Valley a, à tout moment, approximativement entre 170 et 200 élèves, qui sont âgés sur une échelle de 4 à 18 ans et parfois plus vieux. Les élèves peuvent se déplacer librement à tout moment sur le site et à l'intérieur des bâtiments de l'école et peuvent interagir avec quiconque leur plaît. L'école est suffisamment grande pour permettre, si les élèves le choisissent, d'interagir avec seulement ceux qui ont une ou deux années de plus qu'eux. Mais ils ne le font pas. Dans notre étude quantitative nous avons découvert que plus de la moitié (50%) des interactions sociales des élèves à l'école étaient avec d'autres élèves qui étaient vieux de plus de deux ans et plus jeunes qu'eux, et 25 % de leurs interactions était avec d'autres élèves qui étaient vieux de plus de quatre ans ou plus jeunes qu'eux [2]. Le mélange des âges est particulièrement fréquent pendant le jeu. Le jeu actif de toute sorte entrainait plus souvent le mélange des âges que le font les conversations qui n'impliquent pas le jeu.

Durant les prochains acomptes de ce blog, je discuterais des avantages variés d'un environnement d'auto-éducation qui mélange les âges, en utilisant des exemples de nos observations à l'école Sudbury Valley [3]. Un avantage clair et qui est le sujet de ce présent acompte est celui-ci :

Le mélange des âges permet aux enfants plus jeunes se lancer et d'apprendre des activités qu'ils ne pourraient pas faire seul ou avec seulement ceux du même âge.

Dans les années 1930, le psychologue du développement Russe Lev Vygotsky développa un concept qu'il appela la zone proximale de développement, qui peut se définir comme le royaume d'activités que l'enfant peut accomplir en collaboration avec des personnes ayant davantage de compétences mais qu'il ne peut accomplir seul ou avec ceux qui sont au même niveau que lui-même [4]. Vygotsky déclara que les enfants apprennent mieux quand ils sont en relation avec d'autres personnes se trouvant dans leurs zones proximales de développement. Depuis l'époque de Vygotsky, les professeurs d'éducation ont utilisé les concepts de Vygotsky pour décrire l'interaction entre l'adulte enseignant et le jeune étudiant, mais le concept s'applique bien mieux, je pense, à ce qui se déroule naturellement dans les interactions entre enfants d'âges différents.

Comme illustration (Que j'ai déjà utilisé ailleurs), imaginez deux enfants de quatre ans qui essayent de jouer à un simple jeu qui consiste à attraper quelque chose en vol [5]. Ils ne peuvent le faire. Aucun des enfants ne peut lancer une balle suffisamment droite pour que l'autre puisse l'attraper, du coup le jeu perd de son intérêt et est ignoré rapidement. Maintenant imaginez un enfant de quatre ans jouant au jeu avec un enfant de huit ans ayant plus de compétences au lancé. L'enfant plus vieux, qui plonge et saute peut attraper la balle sauvage du plus jeune et peut s'amuser à le faire, de la même façon, l'enfant plus vieux peut lancer la balle directement dans les mains tendues du plus jeune, ainsi celui-ci peut expérimenter la joie de réussir à attraper. Ainsi, le jeu de lancer et attraper est un jeu qui se trouve dans la zone proximale de développement de l'enfant de quatre ans. Dans un environnement d'isolement par groupe d'âge consistant seulement d'enfants de quatre ans, ce jeu ne serait pas possible, mais dans un environnement d'âges mélangés qui inclut la présence d'enfants de huit ans aussi bien que d'enfants de quatre ans, le jeu se trouve dans le royaume des possibilités de chacun.
À n'importe quel moment de la journée à Sudbury Valley vous pouvez trouver de jeunes enfants jouant à des jeux, avec des enfants plus âgés, avec lesquels il ne serait pas possible de jouer avec seulement ceux de leur âge. Cela inclut aussi bien des jeux intellectuels qu'athlétique. Ils jouent ensemble non pas parce que quelqu'un leur demande, mais parce que c'est ce qu'ils souhaitent. Les enfants les plus jeunes sont attirés par les activités et les personnalités des plus vieux, et les enfants plus âgés aiment les opportunités d'interagir avec ceux plus jeunes.

Voici un exemple de jeu intellectuel se trouvant dans la zone proximale de développement. Dans de nombreux cas nous avons observé des enfants de sept, huit ans jouer des jeux de cartes compliqués en groupe avec des enfants plus vieux et adolescents. Par eux-même, les enfants de sept, huit ans ne seraient pas capables de jouer à de tels jeux. Ils ne seraient pas capables de garder leur attention concentrée suffisamment longtemps ou ne pas perdre les règles ou même maintenir les cartes suffisamment droite pour que les autres joueurs ne les voient pas. Ils peuvent jouer ces jeux avec de plus vieux enfants car les plus vieux les maintiennent sur les rails, leur rappelant quand cela est nécessaire de ce qu'ils ont à faire, et parfois leur donner des conseils stratégiques : ''Fais attention !'' ''Essaye de te souvenir quelle carte a été joué.'' ''Pense avant de déposer ta carte de manière à ne pas te la faire prendre par un autre joueur.'' L'attention, la mémoire et la préméditation sont des éléments de ce que nous appelons communément l'intelligence. Dans ce processus du jeu des cartes, qu'ils pratiquaient seulement pour l'aspect amusant, les enfants plus âgés aident de manières secondaires les plus jeunes à développer leur propre intelligence.

Le concept de Vygotsky nous aide aussi à comprendre comment les enfants plus jeunes apprennent à lire à l'école Sudbury Valley. Les enfants qui ne peuvent pas lire, ou ne peuvent pas lire assez bien, peuvent être régulièrement trouvé à jouer des jeux (et particulièrement des jeux ordinateurs) qui impliquent le mot écrit avec des enfants qui savent écrire assez bien. Le lecteur lit à voix haute ce que les autres ne savent pas lire, et dans ce processus les non-lecteurs deviennent petit à petit les lecteurs eux-mêmes.

Le mélange des âges permet aux jeunes enfants de s'engager dans des aventures ludiques qui seraient trop dangereuses pour eux à pratiquer seul ou avec seulement ceux de leur âge. Les enfants qui seraient trop effrayés, à juste raison, de s'aventurer dans les bois par eux-même se sentiront en sécurité de le faire parmi des enfants plus âgés qui connaissent les bois. De la même façon, les jeunes enfants qui découvrent pour la première fois l'escalade des arbres se sentiront en sécurité en s'aventurant sur les branches les plus basses si les plus grands sont en dessous d'eux, leur conseillant comment faire et prêt à les rattraper s'ils tombent.

Quand vous êtes petit et seulement avec des enfants de votre propre âge, l'éventail des activités possible est limité à la connaissance et aux habilités de ceux qui sont dans votre groupe d'âge, mais en collaboration avec des enfants plus âgés il n'y a pratiquement aucune limite à ce que vous pourriez faire !

--------
Dans le prochain acompte je décrirai plus les avantages d'un environnement éducatif qui mélange les âges, ce qui inclut les avantages pour les enfants plus âgés aussi bien que ceux plus jeunes. En même temps, j'aimerais entendre de vous concernant des exemples de vos souvenirs d'enfance concernant l'apprentissage parmi des groupes d'âge mixtes ou que vous avez observé chez les enfants que vous connaissez. S'il vous plaît incluez vos commentaires ci-dessous.

Références :

1. Greenberg, D. (1992). Sudbury Valley's secret weapon: Allowing people of different ages to mix freely at school. In D. Greenberg (Ed.), The Sudbury Valley School experience, 3rd ed. Framingham, MA: Sudbury Valley School Press.
2. Gray, P. and Feldman, J. (1997). Patterns of age mixing and gender mixing among children and adolescents at an ungraded democratic school. Merrill-Palmer Quarterly, 43, 67-86.
3. Gray, P. and Feldman, J. (2004). Playing in the Zone of Proximal Development: Qualities of Self-Directed Age Mixing Between Adolescents and Young Children at a Democratic School. American Journal of Education, 110, 108-145.
4. Vygotsky, L. (1978). Interaction between learning and development. In M. Cole, V. John-Steiner, S. Scribner, and E. Souberman (Eds), Mind and society: the development of higher psychological processes. Cambridge, MA: Harvard University Press.
5. Gray, P. The value of age-mixed play. Education Week, April 16, 2008.



Publié le 9 Septembre 2008 par Peter Gray

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire