La
Valeur du Jeu 4, la méthode de la nature pour nous enseigner de
nouvelles aptitudes
Le
pouvoir éducatif du jeu réside dans son apparente trivialité.
D'un
point de vue biologique et évolutionnaire, l'objectif
principal du jeu est de soutenir l'apprentissage des compétences. Le
jeu est la méthode de la nature pour assurer aux jeunes mammifères,
ce qui inclut les jeunes humains, de pratiquer et de devenir bon dans
les compétences qu'ils ont besoin de développer de manière à
survivre et prospérer dans leurs environnements. Le philosophe et
naturaliste allemand Karl Groos a développé l'idée il y a plus de
100 ans et là développé dans deux livres, Le Jeu des Animaux(1898)
et Le Jeu de L'homme(1901).
La
pratique à travers
le jeu des aptitudes de survie par les jeunes animaux.
Groos
était en avance sur son temps, à
la fois avec sa pensée sur l'évolution et celle sur le jeu. Il
comprit bien les écrits de Charles Darwin et il avait une
compréhension moderne et sophistiquée des instincts. Il
reconnaissait que les animaux, particulièrement les mammifères,
doivent apprendre à des degrés divers à utiliser leurs instincts.
Les jeunes mammifères viennent au monde avec la pulsion biologique
et les tendances instinctives de se comporter de certaines manières,
mais pour être efficace dans ces comportements ils doivent être mis
en pratique et raffiné.
Le
jeu, selon Groos, est essentiellement un instinct permettant
de
mettre en pratique les autres instincts. Dans Le
Jeu des
Animaux
(p75) Groos, écrit : « Les
animaux ne peuvent pas être
poussés
à jouer parce qu'ils sont jeunes et pleins
d'entrain, mais ils ont plutôt une période de leur jeunesse
consacrée
exclusivement
au jeu, et c'est seulement en faisant cela qu'ils
peuvent compléter leur dotation héréditaire insuffisante
en
amenant
une expérience individuelle qui
permettra de
répondre aux différentes
tâches de la vie à venir. »
Cohérent avec sa théorie, Groos a divisé le jeu des animaux en
catégories qui représentent les différents types d'aptitudes que
le jeu soutient. Par exemple il y a le jeu en mouvement (courir,
sauter, grimper, se balancer dans les arbres et ainsi de suite), les
jeux de chasses, les jeux de combat et les jeux de soin (l'imitation
de soin d'un bébé).
La
réponse de Groos à la question de l'objectif biologique du jeu nous
permet de donner du sens à la structure du jeu que nous voyons dans
tout le monde animal. Pour commencer, elle répond au pourquoi les
jeunes animaux jouent plus que ne le font les plus anciens de la même
espèce, ils jouent plus parce qu'ils ont plus à apprendre. Cela
explique aussi pourquoi les mammifères jouent plus que les autres
animaux.
Les
insectes, les reptiles, les amphibiens et les poissons viennent dans
le monde avec des instincts plutôt fixes, étant donné leurs modes
de vie, ils n'ont pas besoin d'apprendre beaucoup pour pouvoir
survivre et il y a peu de preuves qui soutiennent l'idée d'un jeu
chez eux. Les mammifères, d'un autre côté, ont des instincts plus
flexibles, qui doivent être complétés et formés par
l'apprentissage et la pratique que fournit le jeu.
La
théorie de Groos explique aussi les différences d'entrain à jouer
découvert parmi les différents ordres et espèces animales. Parmi
les mammifères, les primates font partie de l'ordre le plus flexible
et adaptable qui a le plus à apprendre, et ils sont ceux qui ont le
plus grand esprit ludique de tous les ordres d'animaux. Parmi les
primates, les êtres humains, les chimpanzés et les bonobos (une
espèce de singe qui est très proche des chimpanzés et des humains)
sont ceux qui ont le plus à apprendre et ils sont les espèces ayant
le plus grand esprit ludique.
Aussi
parmi les mammifères, les carnivores (ce qui inclut les espèces
proches des chiens et des chats) sont généralement plus joueur que
les herbivores, probablement parce que réussir à la chasse demande
plus d'apprentissage que le fait de réussir à paître. En dehors
des mammifères, la seule autre classe d'animaux chez qui le jeu a
été régulièrement observé est celui des oiseaux. Les animaux les
plus joueurs sont les corvidés (corbeaux et pies), les rapaces
(faucons et leurs cousins) et les perroquets. Ce sont les oiseaux qui
ont de longues vies avec des cerveaux plus larges en rapport au poids
de leur corps que les autres oiseaux et qui ont une grande
flexibilité et ingéniosité dans leurs vies sociales et leurs
façons d'obtenir de la nourriture.
L'idée
que l'objectif du jeu est de soutenir l'apprentissage d'une aptitude
nous aide à comprendre les différences chez chaque espèce dans le
type de jeu de la même façon que la quantité de jeu. À un degré
considérable, vous pouvez prédire ce à quoi un animal jouera en
sachant quelles aptitudes il doit développer pour survivre et se
reproduire.
Les
lionceaux
et
les jeunes des autres prédateurs jouent à se traquer et à se
poursuivre, les jeunes zèbres,
gazelles et les animaux qui sont chassés par les lions et autres,
jouent à se fuir et à s'éviter. (voir mon article Les
sports et les jeux de poursuite, pourquoi aimons nous être chassé
?
),
les jeunes singes jouent à se balancer d'une branche à une autre
dans les arbres. Parmi les espèces qui ont les mâles qui se battent
les uns avec les autres pour accéder aux faveurs des femelles, les
jeunes mâles entreprennent davantage de jeux de combat que ne le
font les jeunes femelles. Et, chez certaines espèces de primates,
les jeunes femelles et non les mâles, s'engagent dans des jeux de
soin aux très jeunes.
Les
enfants humains pratiquent toutes sortes
d'aptitudes à travers le jeu, incluant des compétences spécifiques
à leur culture.
Dans
le Jeu de L'homme, Groos élargit son idée du jeu animal vers celui
des humains. Il montra que les êtres humains, bien plus que toutes
les autres espèces, doivent apprendre différentes compétences
selon la société dans laquelle ils se développent. Il affirma que
la sélection naturelle conduit l'enfant humain à de fortes pulsions
à observer les activités de leurs aînées et à intégrer ces
activités dans leurs jeux.
Les
enfants de toutes les cultures jouent à certaines activités
générales qui sont essentielles à toutes les personnes de partout,
mais il y a aussi des formes de jeu spécifiques dans chaque
catégorie qui sont influencées par les activités qui les
entourent. Quand les enfants sont libres, ils jouent bien plus, et
dans une bien plus grande variété de moyens que ne le font les
jeunes de n'importe quelle autre espèce parce qu'ils ont bien plus à
apprendre.
Cohérent
avec la théorie de Groos, l'enfant joue d'une manière qui soutient
une grande variété d'aptitudes que l'être humain doit développer
et cela peu importe ou il se trouve :
-
Nous, comme tous les mammifères, sommes des êtres physiques qui devons développer nos corps pour être fort et apprendre à nous déplacer de manière coordonnée, et ainsi nous avons des jeux physiques, qui incluent des jeux de poursuite et de lutte qui sont très similaires que les jeux des autres mammifères. Dans de nombreux autres aspects toutefois, nous sommes uniques et nos jeux réfléchissent cette singularité.
-
Nous somme un animal linguistique, et nous avons ainsi des jeux de langage qui nous enseignent comment parler.
-
Nous sommes Homo sapiens, l'animal sage et nous avons ainsi des jeux d'exploration qui combinent la curiosité avec un esprit ludique qui nous enseigne ce dont on a besoin à propos du monde autour de nous.
-
Nous sommes un animal technique, qui survit en construisant des choses, par exemple des abris, des outils, des appareils pour nous aider à communiquer et d'autres qui nous aident à nous déplacer d'un lieu à un autre. Nous avons pour cela des jeux de construction qui nous enseignent comment construire.
-
Nous sommes des espèces intensément sociales, qui demandent à coopérer avec les autres pour pouvoir survivre, et ainsi nous avons un grand nombre de formes de jeux sociaux, qui nous enseignent à coopérer et à maîtriser nos impulsions de manière à nous rendre socialement acceptable.
-
Nous somme un animal imaginatif capable de penser à des choses qui ne sont pas présentent immédiatement et ainsi nous avons des jeux fantaisistes, qui construisent et exercent notre capacité pour l'imagination et fournit une fondation pour ce que l'on appelle l'intelligence.
Les
termes que j'ai mis en gras
ne se réfèrent pas de manière exclusive à des catégories de jeu,
mais plutôt à des fonctions variées
que le jeu peut servir. N'importe quelle occasion de jeu peut servir
à une ou
plusieurs de ces fonctions. Un jeu de groupe animé à l'extérieur
peut être un jeu physique, de langage, d'exploration, de
construction, social et imaginatif tout à la fois. Le jeu, dans
toutes ses
formes combinées participe à nous construire comme être humain
entièrement fonctionnel et efficace. (Pour
voir ce sujet en profondeur, voir mon article La
variété des Jeux répond aux besoins de l'existence humaine)
Aussi,
en cohérence avec la théorie de Groos, les études interculturelles
du jeu ont montré que les enfants jouent particulièrement aux
formes d'activités qui sont les plus valorisées par leur culture.
Les enfants des cultures de chasseurs-cueilleurs jouent à chasser et
à cueillir en utilisant le même genre d'outils que ceux utilisés
par les adultes de leur culture.
Les
enfants dans les communautés agricoles jouent à prendre soin des
animaux et à cultiver des plantes. Les enfants des cultures modernes
occidentales jouent à des jeux qui impliquent la lecture et les
nombres, s'ils grandissent dans des environnements où ceux-ci sont
valorisés, ils jouent aussi avec des ordinateurs et avec d'autres
formes de technologies qui sont les outils d'aujourd'hui.
Pour
aller au-delà de Groos, j'ajouterais que les enfants sont attirés
par le jeu, non pas seulement pour les aptitudes et compétences qui
sont les plus importantes et valorisé par les adultes autour d'eux
mais aussi, de manière plus intense par des aptitudes qui sont
nouvelles et en développement. À cause de cela, les enfants
apprennent généralement à utiliser les nouvelles technologies plus
rapidement que ne le font leurs parents.
D'un
point de vue évolutif, ceci n'est pas un accident. À un niveau
génétique profond, l'enfant reconnaît que l'aptitude la plus
importante à apprendre est celle qui sera d'une importance
croissante dans le futur, celle de sa propre génération, qui peut
être différente des aptitudes de la génération de ses parents. La
valeur de cette attraction à ce qui est nouveau est particulièrement
apparent dans nos temps modernes où des compétences particulières
sont nécessaires pour maîtriser des technologies qui changent très
rapidement.
La
nature du jeu est bien adaptée
à l'objectif de renforcement des aptitudes.
Le
jeu par définition est une
activité qui est psychologiquement écarté du monde réel. C'est
une activité réalisée
pour elle-même et non pas une activité qui a
un
objectif sérieux tel qu'obtenir de la nourriture, de l'argent, une
médaille, des encouragements ou même une
mention
sur son curriculum vitae. (voir l'article La
définition du jeu aide à comprendre sa valeur).
Quand
nous offrons de telles
récompenses aux enfants qui sont en train de jouer, nous
transformons leur jeu en quelque chose qui n'est plus du jeu. Parce
que le jeu est une activité réalisée
pour elle-même plutôt que pour un résultat conscient extérieur,
on pense souvent que le jeu est frivole et insignifiant. Mais voici
un point délicieusement paradoxal : Le pouvoir éducatif du jeu
réside dans son insignifiance.
Le
jeu sert l'objectif sérieux de l'éducation, mais le joueur n'est
pas en train de s'éduquer lui-même délibérément. Le joueur joue
seulement pour le plaisir du jeu et pour rien d'autres, l'éducation
est simplement un effet secondaire. Si le joueur devait jouer pour un
objectif sérieux, la plus grande partie du pouvoir éducatif du jeu
serait perdue.
Puisque
l'enfant qui joue ne s'inquiète pas de son futur et parce que
pendant qu'il joue, il ne souffre pas des conséquences de l'échec
du monde réel, parce que le jeu est insignifiant, l'enfant qui joue
n'a pas peur de l'échec. Comme l'enfant ne cherche pas une
approbation, un encouragement, une médaille ou quoi que ce soit qui
serait jugé par un adulte, l'enfant qui joue est non entravé par
les soucis des évaluations.
La
peur et les soucis qui résultent de l'évaluation tendent à geler
l'esprit et le corps dans des cadres rigides, des cadres qui sont
adaptés pour répondre à des activités habituelles bien apprises
mais pas pour apprendre de nouvelles actions ou penser à de
nouvelles idées. En l'absence du souci d'échouer et des autres
jugements, les enfants qui jouent peuvent consacrer toute leur
attention sur les compétences avec lesquelles ils sont en train de
jouer.
Ils
font tout leur possible pour être performant, parce que être bien
performant est un objectif qui est propre au jeu. Ils savent
simplement que s'ils échouent, il n'y aura pas de conséquences
sérieuses dans le monde réel et ils se sentent alors libres
d'expérimenter, de prendre des risques qui seront déterminants pour
l'apprentissage. Ils n'ont pas besoin de consacrer une grande partie
de leurs ressources mentales à des tâches qui ont pour objectif de
répondre à ce qui a été déterminé par ce que des juges
extérieurs veulent voir. Ils peuvent diriger leurs activités selon
leur préparation et non pas selon le programme qu'un juge a choisi
pour eux.
Un
autre aspect du jeu, en dehors de son insignifiance, est que si le
jeu est bien adapté au renforcement des compétences c'est grâce à
son aspect itératif et répétitif. Avez-vous remarqué qu'un grand
nombre de jeux implique un grand nombre de répétition ? Un
chat va traquer de manière ludique une souris en la relâchant pour
pouvoir la poursuivre de nouveau. Un bébé qui de manière ludique
va gazouiller en répétant les mêmes syllabes ou le même type de
syllabes, parfois en altérant légèrement la séquence, comme s'il
pratiquait délibérément leur prononciation.
Un
tout-petit qui joue à marcher peut continuer à répéter le même
chemin en avant et en arrière. Un jeu enfant qui lit de manière
ludique, peut lire et relire plusieurs fois (et même mémoriser) un
petit livre. Un grand nombre de jeux structurés, tel que le jeu du
loup, le foot ou d'autres demande une grande répétion des même
actions ou processus. La répétition dans ces cas-là n'est pas
qu'une simple mémorisation extérieure.
Si
la répétition d'une action vient de la propre volonté du joueur,
chaque action répétitive est alors un acte créatif. Si l'acte est
exactement le même que l'acte précédent, c'est parce que le joueur
souhaitait faire en sorte qu'il s'agisse du même, et il fait alors
tout son possible pour qu'il soit le même.
Si
bien que chaque acte « répété » est systématiquement
différent d'une certaine façon que le précédent, le joueur fait
varier délibérément l'acte pour répondre au jeu ou à
l'expérience avec de nouvelles manières de faire la même chose. Un
effet secondaire d'une telle répétition est la perfection et la
consolidation de la nouvelle compétence qui se développe.
Les
mêmes compétences que l'enfant apprend naturellement dans le jeu
deviennent difficiles dans un environnement scolaire typique. La
lecture est un excellent exemple. Il y a de nombreuses années, j'ai
regardé mon plus jeune frère apprendre à lire, par son propre jeu
avant qu'il commence à aller à l'école, et plus tard j'ai regardé
mon fils faire
la même chose. À l'école sudbury valley, l'école démocratique
non-école que j'ai décrit dans des articles précédents (Leçons
de l'école Sudbury Valley
)
un grand nombre d'enfants ont appris à lire par le jeu, à une
grande variété d'âges
différents, parfois en étant parfaitement inconscient de leur
apprentissage. Dans cette communauté d'âges mixtes, où il n'y a
pas de cours formel de lecture, les enfants apprennent à lire parce
que lire est une part valorisée de leur environnement social.
Ils
voient les autres enfants lire et les entendent parler de ce qu'ils
ont lu, ce qui les amène à vouloir lire. Ils jouent à des jeux qui
impliquent le mot écrit. Des adultes et des adolescents qui aiment
leur lire, lisent pour eux. Ils veulent sans cesse entendre le même
livre jusqu’à ce qu'ils l'aient mémorisé, et alors ils lisent le
livre de manière ludique, les livres qu'ils ont mémorisé jusqu'à
ce que leur prétendue lecture se transforme en lecture réelle.
C'est
à contraster avec l'apprentissage de la lecture dans les écoles
standardisées qui est douloureux pour de nombreux enfants et leur
laisse une cicatrice à vie avec la lecture. Imaginez ce que c'est
pour un enfant qui, pour une raison ou une autre, est un peu plus
lent que les autres à apprendre dans une classe.
La
lecture devient une mesure la valeur de soi et une source d'angoisse
et de honte, et ces émotions rendent l'apprentissage de la lecture,
non pas seulement douloureux, mais difficile. Quand les enfants ont
la possibilité d'apprendre la lecture à leur manière, à leur
propre allure, par leur jeu autodirigé, la lecture devient et reste
un grand plaisir de la vie. La même chose est vraie pour toutes les
autres aptitudes. Même jeter une balle peut être difficile et
impliquer la honte quand cela est enseigné à l'école plutôt
qu'appris par le jeu.
Le
jeu est la méthode de la nature pour nous enseigner les compétences
dont nous avons besoin pour la vie. Mais notre système éducatif a
de manière stupide transformé le jeu en ce que l'on appelle « la
récréation » en le rendant véritablement insignifiant et en
le marginalisant, et a transformé l'apprentissage en quelque chose
que l'on appelle « le travail » en faisant de lui, par
définition, quelque chose que les enfants ne veulent pas faire.
Article
publié par Peter Gray le 01 Janvier 2009 et Traduit par Michael
Seyne le 12 Mai 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire