Le
chef était une femme : Pour les Bateks, l'éducation est liée
aux qualités de la direction
Qu'elle
est l'ingrédient secret des Bateks pour la paix et la coopération ?
Tanyogn
était le genre de personne qui aurait été un atout pour n'importe
quelle communauté. Elle était très intelligente et était capable
de voir au-delà des apparences, elle était capable de juger si un
marchand de l'extérieur était en train d'essayer de les tromper.
Elle avait des connaissances de sage-femme, de l'usage de plantes
médicinales, des pratiques religieuses et de nombreux autres
domaines qui étaient essentiels pour sa culture. Elle avait une
personnalité puissante et la capacité de persuader. Elle
participait vigoureusement aux discussions de la communauté avec une
voix raisonnable que personne ne pouvait ignorer. Elle avait une
énergie et une capacité de travail énorme. Quand un travail devait
être fait elle était la première à s'y mettre et à encourager
les autres à la rejoindre par son exemple.
Peut-être
que la plus grande valeur de Tanyogn était son extraordinaire sens
de la responsabilité et le soin qu'elle prodiguait aux autres, pas
seulement envers les membres de sa famille mais pour tous les membres
de la communauté et jusqu'aux étrangers qui venaient en visite.
Elle prenait soin des malades et réconfortait les enfants en pleurs,
peu importe à qui était l'enfant. Elle et son mari prenaient aussi
soin de deux garçons orphelins. Quand les deux jeunes
anthropologues, Kirk et Karen Endicott sont allé étudier sa
communauté, elle les prit sous son aile et les protégea de leurs
propres maladresses. Par exemple, quand elle les vit glisser et avoir
des difficultés sur un chemin boueux prêt de leur camp, elle fit
des marches avec une pelle dans le chemin, des marches dont aucun
natif n'aurait eu besoin mais qui étaient utiles à Kirk et Karen.
Les
Bateks de la Malaisie péninsulaire, comme un grand nombre de groupes
de chasseurs et de cueilleurs à travers le monde, sont des personnes
égalitaires. Elles donnent de la valeur à la liberté personnelle
et elles sont rebutées par l'idée qu'une personne devrait avoir
l'autorité pour contrôler les activités d'un autre. Elles prennent
toutes les décisions qui concernent le groupe en usant du consensus,
parfois seulement après des jours et des semaines de discussions et
de débats. Ils n'ont pas de chef officiel mais ils ont des guides
naturels qui sont des personnes qui par leurs personnalités, leurs
connaissances et leurs compétences sont recherchées pour leurs
conseils et sont écoutées bien plus attentivement que les autres.
Pour les Bateks qui habitaient la vallée haute de la rivière Lebir,
Tanyogn était ce genre de guide. En fait, elle était un guide
tellement puissant chez les Bateks que même les Malaisiens voisins
(qui sont les fermiers prédominant en Malaisie) se référaient à
elle comme Penghulu, qui est le terme Malaisien pour chef de tribu.
L'histoire
de Tanyogn et des Bateks est merveilleusement bien racontée dans le
livre récent de Kirk et Karen Endicott qui s'intitule, Le chef était
une femme, L'égalité de genre des Bateks de Malaisie (2008). Le
livre est bien plus qu'une simple documentation sur l'égalité de
genre dans une société humaine de longue date. Tandis que vous
lisez, vous découvrez que le fait remarquable n'est pas que le chef
soit une femme mais que le chef était une personne, qu'importe le
genre, avec les qualités de Tanyogn. Dans quel genre de société
une personne qui n'est pas compétitive, n'est pas intéressé par
les status, n'est pas le moindre comportement menaçant mais est
simplement serviable devient le chef le plus largement reconnu par
les siens ? Le livre parle des conditions sociales qui
permettent l'émergence de ce genre de chef.
Les
Bateks sont des personnes, que ce soit des hommes ou des femmes, qui
résistent à toutes les tentations d'agir d'une manière dominante.
Leurs valeurs les plus élevées incluent l'autonomie individuelle,
une égalité sociale, la coopération et le partage de toutes les
richesses matérielles. Ils aiment jouer mais ils ne jouent jamais de
manière compétitive parce que l'idée de battre une autre personne
les répugne. Ils élèvent leurs enfants pour qu'ils soient à la
fois autodirigés et respectueux des autres par la confiance qu'ils
ont en eux pour faire leurs propres choix et en les traitant
respectueusement à partir de leurs naissances. De bien des façons
les Bateks enfreignent les stéréotypes sur la nature humaine qui
ont souvent été décrété par les psychologues.
Et
pourtant, pour ceux qui lisent la littérature d'anthropologie,
l'histoire des Bateks n'est pas unique. C'est une histoire similaire
de bien des manières aux histoires que les autres anthropologues ont
décrites à propos des peuples de chasseurs et de cueilleurs. Le
livre des Endicotts a un grand nombre de thèmes et de messages
identiques qui ont été trouvé par exemple dans The Old Way (2006)
de Elizabeth Marshall Thomas à propos des chasseurs-cueilleurs
Juhansi du désert Kalahari ou encore du classique The Forest People
(1968) de Colin Turnbull à propos des chasseurs-cueilleurs Mbutu de
la forêt Ituri du Congo.
Quelle
est cette chose qui a permis à ces sociétés de
chasseurs-cueilleurs pendant peut-être des centaines de milliers
d'années de résister à la tentation du statut, de la domination et
de la violence qui dicte le cours de l'histoire pour le reste d'entre
nous depuis une dizaine de milliers d'années ? Quel secret
ont-ils pour réussir à vivre de manière pacifique et coopérative ?
Que pouvons-nous apprendre d'eux qui pourrait nous sauver de nos
pires instincts ?
J'ai
passé un temps considérable à étudier la littérature des
chasseurs-cueilleurs, pas simplement les livres populaires qui les
concernent mais aussi les articles de journaux académiques. Mon
étude m'a conduit à conclure que le dénominateur commun de toutes
ces sociétés est l'existence d'un haut niveau d'esprit de jeu.
Toutes ces sociétés, aussi loin que je peux le dire, optimisent la
capacité humaine à jouer et à s'amuser d'une manière qui semble
délibérément conçu pour combattre les tendances à la domination.
Mais
six prochains articles constitueront une série que j'ai intitulé
« Le jeu fait de nous des êtres humains ». Les articles
concernent des sujets tels que le jeu du gouvernement, le jeu de la
religion, le jeu du travail, le jeu de la parentalité et le jeu de
l'éducation. Pour chaque sujet j'expliquerais ce que j'ai appris de
mes recherches sur les chasseurs-cueilleurs et comment je pense que
ces idées sont encore valables dans notre société d'aujourd'hui.
Une idée englobante que je vais présenter est que : Une
évolution majeure de la fonction du jeu est de combattre la
domination et d'encourager la coopération. Pendant des centaines de
milliers d'années, les chasseurs et les cueilleurs ont maximisé
leur esprit de jeu de manière à leur permettre un haut degré de
coopération qui est essentiel à leur survit.
Publié
par Peter Gray le 26 Mai 2009, Traduit par Michaël Seyne le 10
Juillet 2015