Le
jeu nous rend humain 4, Quand le travail est du jeu
Est-ce
que votre travail est du jeu ? Il peut l'être.
Une
des premières et peut-être la plus renforcée des leçons qu'un
enfant apprend à l'école est que le travail et le jeu sont des
opposés. Le travail est ce que l'on doit faire tandis que le jeu est
ce que l'on veut faire. Le travail est pénible, le jeu est amusant.
Le travail est essentiel, le jeu est futile. Pourtant lorsque nous
quittons l'école et allons dans le « monde réel »,
certains d'entre nous, les chanceux, découvrent que le travail n'est
pas l'opposé du jeu. En fait, le travail peut être du jeu, ou du
moins, il peut être imprégné d'un haut degré d'esprit de jeu.
Quand le travail est du jeu, il est humanisant. Il fait ressortir nos
meilleures qualités et nous fait nous sentir bien. Quand le travail
est un labeur, l'opposé du jeu, il peut être déshumanisant. Nous
devenons des bêtes de somme et cela peu importe si la charge
s'applique à nos muscles ou à nos esprits. Quelles sont les
qualités qui peuvent rendre notre travail du jeu plutôt qu'une
charge ?
Dans
la série « Le jeu nous rend humain », j'avais au départ
souhaité consacrer un essai au sujet du travail. Mais ensuite j'ai
réalisé qu'un seul essai serait inadapté, j'ai alors décidé d'y
consacrer deux essais qui seront juste un peu moins inadaptés. Dans
ce premier essai, je me concentre sur la définition du jeu et
comment un emploi rémunéré peut correspondre à cette définition.
Dans le prochain essai, je décrirais comment les
chasseurs-cueilleurs ont minimisé la distinction entre le travail et
le jeu et je suggérerais des moyens par lesquels nous pourrions les
imiter sur ce sujet.
Définition
du jeu
Dans
un essai précédent sur la définition
du jeu, j'ai élaboré l'idée que le jeu est une activité
structurée
qui
est (a) choisi par soi-même, (b) autodirigé, (c)
imaginative ou créative, (d) intrinsèquement
motivée et (e) produite dans un état d'esprit actif, alerte et sans
stress. Lorsque n'importe quelle activité a ces caractéristiques,
nous en faisons l'expérience comme d'un jeu. Le travail dans ce
qu'il a de meilleur, peut avoir toutes ces
caractéristiques à un haut niveau. Laissez-moi l'expliquer.
(a)
Le travail peut être choisi par soi-même
Le
jeu est ce que l'on choisit de faire, non pas ce que l'on doit faire,
ainsi plus nous faisons l'expérience d'un sens du choix à propos de
notre emploi, plus nous en faisons l'expérience comme un jeu. Si
vous sentez que la nécessité vous impose de travailler dans tel ou
tel boulot, alors il sera difficile pour vous de maintenir une
attitude d'esprit de jeu à votre travail. Plus vous vous sentez
libre de quitter votre travail, plus facile il sera pour vous de
faire l'expérience de votre emploi comme d'un jeu. Le jeu est par
définition, une chose que vous êtes toujours libre de quitter. Si
vous ne pouvez pas le quitter, vous n'avez alors pas le sens du choix
et l'activité n'est pas du jeu.
Il
y a quelques années, Reed Larson et ses collègues ont conduit une
recherche dans laquelle des hommes et des femmes mariés qui avaient
tous un travail hors de leur maison, portaient des bipeurs sur eux
tout au long de la journée et lorsque le bip sonnait, ils écrivaient
sur un support des informations à propos de leurs activités et de
leurs états d'esprits. Une découverte majeure fut que les femmes
étaient plus heureuses que les hommes lorsqu'ils sont à leur
travail hors de chez eux, et les hommes sont plus heureux que les
femmes lorsqu'ils font des travaux à leur maison, comme cuisiner ou
faire le ménage. [1]
Les
chercheurs ont interprété cela comme étant lié à l'élément du
choix. Du temps où cette étude a été réalisé, le travail hors
de la maison était vu comme une plus grande nécessité pour les
hommes que pour les femmes. Les hommes se sentaient souvent alourdis
par un tel travail, parce qu'ils sentaient n'avoir pas de choix en ce
qui le concerne. C'était de leur devoir de participer à la course
folle pour soutenir leurs familles. En contraste, les femmes étaient
relativement plus disposées à sentir que le travail hors de la
maison était un choix libérateur, non un devoir et ce sentiment les
a aidé à donner à leur travail une qualité de jeu. Pour le
travail à la maison, l'opposé est vrai. Les femmes sentent avoir
peu de choix en ce qui concerne le ménage, la cuisine et le reste,
ce qui fait qu'elles se sentent parfois en colère ou s'ennuie
lorsqu'elles sont amenées à participer à ces tâches. Les hommes,
quant à eux, avaient plus le sentiment que leur travail domestique
était optionnel. Ils aidaient à la maison avec galanterie en
faisant quelque chose qui n'était pas de leur ultime responsabilité.
Comme
la fait remarquer Larson et ses collègues, les découvertes
correspondent à certains stéréotypes de genre dont il reste
peut-être encore une parcelle de vérité dans notre culture. Les
hommes « esclaves » au travail et rentre à la maison
pour se détendre et se faire plaisir. Les femmes « esclaves »
à la maison, sortent pour se détendre et se faire plaisir.
L'idée
plus large montrée ici est que, peu importe le genre de travail que
nous faisons, plus nous pouvons adopter l'attitude que nous n'avons
pas l'obligation de faire ce travail, plus nous pouvons faire
l'expérience du travail comme un jeu. L'esclavage est interdit
aujourd'hui ce qui fait qu'en théorie nous pourrions tous avoir
l'opportunité de choisir le travail par lequel nous avons un revenu,
bien que je reconnaisse que les conditions économiques peuvent
rendre cela très difficile.
Bien
entendu, les enfants scolarisés font l'expérience d'absence de
liberté en étant à l'école ou pas. Ils ont l'obligation par la
loi d'y être. C'est une des raisons pour laquelle les enfants
scolarisés font rarement l'expérience de leurs travaux scolaires
comme étant du jeu. Dans notre société, nous ne donnons pas aux
enfants les mêmes libertés fondamentales que nous donnons aux
adultes.
(b
& c) Le travail peut être auto-dirigé et créatif
Les
joueurs sont des électrons libres. Non seulement ils choisissent
librement le jeu qu'ils joueront ou pas, mais ils choisissent aussi
de la façon dont ils le joueront. Ils doivent suivre les règles,
mais à l'intérieure des lignes directrices de ces règles, chacun
de leurs mouvements doivent être les leurs. Les joueurs ne sont pas
les rouages d'une machine qui est contrôlée par quelqu'un d'autre.
Il n'est pas surprenant de voir que les travailleurs qui sont libres
de prendre des décisions relatives à leur travail ont plus de
chances de faire l'expérience de leur travail comme d'un jeu que
ceux qui n'ont pas cette liberté. Rien n'enlève plus l'esprit de
jeu du travail que ne le fait d'être microgéré par un chef.
Une
raison pour laquelle les enfants font l'expérience de leur travail
scolaire comme étant à l'opposé du jeu vient de la surveillance
étroite de ce travail. Les enfants scolarisés, bien plus que
n'importe quels employés que je connaisse, sont constamment sous la
houlette de leur chef (leur enseignant dans ce cas). On leur dit
simplement ce qu'ils doivent faire, comment et quand le faire puis
tous les détails de ce qu'ils font sont jugés et évalués par des
critères qui ne sont pas les leurs. Ce genre de travail est vraiment
l'opposé du jeu. Pourtant dans le monde réel à l'extérieure de
l'école, dans les lieux où l'esclavage a été interdit, les
personnes ne sont jamais contrôlés aussi étroitement.
Dans
une étude classique sur la satisfaction au travail, le sociologue
Melvin Kohn et ses collègues ont identifié une constellation de
caractéristiques de travail auxquels ils
se réfèrent comme de l'auto-direction professionnelle. Les emplois
qui sont imprégnés
de ces caractéristiques sont (a)
compliqués plutôt que simple, (b)
varié plutôt que routinier, (c)
peut soumit
à la surveillance des autres. [2]
Ce sont bien sûr précisément les caractéristiques qui demande un
haut degré de prise de décision et de créativité au travail. Kohn
et ses collègues ont
découvert que l'auto-direction était
désirée
et appréciée
autant dans les emplois d'ouvriers que ceux
de
cadres. Bien que les chercheurs n'aient
pas décrit leurs découvertes en terme de jeu, mon point de vue est
que l'auto-direction professionnelle est cruciale pour l'esprit de
jeu au travail. Que vous soyez un plombier ou un avocat, vous ferez
l'expérience de votre travail comme d'un jeu en fonction du degré
d'auto-direction professionnelle.
Kohn
et ses collègues ont découvert que les travailleurs qui sont passé
d'un travail ayant peu d'auto-direction professionnelle à un travail
qui en a plus ont non seulement eu plus de plaisir au travail mais
ont aussi changé psychologiquement à travers le temps. Ils
devinrent plus souples et moins rigides à leur domicile ou lors de
leurs activités de loisirs en même temps que dans leur travail.
Leurs styles éducatifs à l'égard de leurs enfants devint plus
démocratiques et moins autocratiques. Ils commencèrent à donner de
la valeur à la créativité et à l'autonomie de leurs enfants
plutôt que leur demander une obéissance aveugle. En d'autres mots
(les miens, non ceux de Kohn), leur vision totale de la vie devint
plus ludique que ce qu'elle était.
Le
travail peut être intrinsèquement motivé
Le
jeu est motivé par lui-même, ce qui veut simplement dire qu'il
s'agit d'une activité amusante qui est réalisée pour le simple
fait de la réaliser plutôt que pour obtenir un résultat final. Il
s'agit de la construction d'un château de sable sur la plage que les
joueurs apprécient et non pas le château de sable créé. S'ils
sont vraiment en train de jouer, c'est le processus de gagner des
points ou d'essayer de les gagner qui plaît aux joueurs de tennis et
non pas les points eux-mêmes. En d'autres mots, lors d'un jeu, c'est
les activités elles-mêmes qui sont la source du plaisir, tout
produit qui pourrait en émerger en un effet secondaire.
Le
travail ne peut jamais être complètement motivé par lui-même. Par
définition, l'objectif du travail est de produire une valeur finale,
tel que réparer la plomberie ou obtenir un succès à la défense de
son client lors d'un procès, ou produire un salaire à ramener chez
soi pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Pourtant
les motivations extrinsèques et intrinsèques ne s'excluent pas
mutuellement. Vous pouvez travailler pour une valeur finale et en
même temps faire attention et apprécier le processus. Plus le
niveau auquel vous consacrez votre attention au processus augmente,
plus votre travail est un jeu.
Si
je me concentrais seulement sur le résultat final de mon travail
d'auteur qui est une œuvre publiée ou le revenu issu de cette
œuvre, alors écrire serait un fardeau. Quand je faisais cela,
alors l'écriture elle-même serait seulement un moyen pour atteindre
une fin. Dans ce cas, je trouve qu'il est difficile de commencer, et
lorsque je commence, l'écriture est traînante et monotone.
L'écriture est alors un travail et pas du jeu. Pour faire de
l'écriture un jeu, je dois retirer mon attention du résultat. Bien
entendu, je n'oublie pas complètement le résultat final, mais je le
pose sur une étagère au fond de mon esprit de manière à pouvoir
mettre mon attention sur le processus qui est le processus de
génération d'idées et de compositions de phrases qui permettent de
les exprimer. Je peux me convaincre moi-même que le résultat final
n'a pas d'importance, qu'écrire est tellement amusant que ça a de
la valeur en soi, même si l’œuvre n'est jamais publiée, qu'elle
n'a jamais aucun effet dans le monde et que je n'y gagne pas un
centime. De manière paradoxale, quand je réussis à prendre cette
attitude de jeu, le résultat final est bien meilleur que lorsque je
ne le fais pas. Et la même chose est vraie pour toutes les tâches
que je fais, que ce soit laver le linge, cuisiner ou couper l'herbe.
Lorsque
nous sommes exclusivement orientés
vers un objectif, nous voyons l'activité nécessaire pour achever ce
but comme un mal nécessaire, alors nous l’exécutons de la manière
la plus minimale possible que nous estimons acceptables.
Nous faisons juste ce qui est nécessaire pour gagner son salaire,
pour satisfaire le patron ou pour préparer un repas que votre
famille ne rejettera pas. À l'école, nous faisons juste ce qui est
nécessaire
pour obtenir la note que nous estimons choisi comme objectif. En
contraste, quand nous nous permettons à nous-même d'être absorbé
par le processus comme un jeu, nous accomplissons parfois bien plus.
Par simple plaisir nous pouvons produire bien plus que ce qu'il était
prévu de produire originalement, et le produit final pourrait être
bien meilleur. Cela pourrait même devenir une création artistique.
Cela peut être vrai alors que vous réparez la plomberie, que vous
coupez l'herbe, que vous faites un repas, que vous réalisez un
dossier d'affaire ou que vous écrivez un essai.
(e)
Le travail peut comporter un état mental vif, attentif et sans
stress
La
caractéristique finale découle naturellement des autres. La prise
de décision, la créativité et l'attention sur le processus qui est
caractéristique
du
jeu nécessite et produit en
même temps une
vigilance mentale. Une réduction de l'attention sur la finalité et
les autres évaluations réduit ou même élimine notre peur de
l'échec. Pour la plupart d'entre nous, notre travail n'a pas de
conséquence de vie ou de mort, ce qui fait que les peurs que nous
avons de l'échec à peu de chances
d'être porté à exagération. Toutefois, même des personnes telles
que les chirurgiens, les pompiers ou les policiers qui peuvent
se retrouver dans des situations de vie ou de mort ont une plus
grande chance d'avoir un succès en réduisant le sentiment de stress
s'ils font attention au processus.
Que
pourrions-nous faire en tant que société qui augmente son esprit de
jeu et réduit le fardeau du travail ? C'est là que je pense
que nous avons beaucoup à apprendre des sociétés de
chasseurs-cueilleurs.
------------Notes
[1] Larson, R. J., Richards, M. H., & Perry-Jenkins, M. (1994). Divergent worlds: The daily and emotional experience of mothers and fathers in the domestic and public spheres.Journal of Personality and Social Psychology, 67, 1034-1046.
[2] Kohn, M. L. (1980). Job complexity and adult personality. In N. J. Smelser & E. H. Erikson (Eds.), Theories of work and love in adulthood. Cambridge, MA: Harvard University Press. Also, Kohn, M. L., & Slomczynski, K. M. (1990). Social structure and self-direction: A comparative analysis of the United States and Poland. Cambridge, MA: Basil Blackwell.
[1] Larson, R. J., Richards, M. H., & Perry-Jenkins, M. (1994). Divergent worlds: The daily and emotional experience of mothers and fathers in the domestic and public spheres.Journal of Personality and Social Psychology, 67, 1034-1046.
[2] Kohn, M. L. (1980). Job complexity and adult personality. In N. J. Smelser & E. H. Erikson (Eds.), Theories of work and love in adulthood. Cambridge, MA: Harvard University Press. Also, Kohn, M. L., & Slomczynski, K. M. (1990). Social structure and self-direction: A comparative analysis of the United States and Poland. Cambridge, MA: Basil Blackwell.
Publié
le 25 Juin 2009 par Peter Gray
Source :https://www.psychologytoday.com/blog/freedom-learn/200906/play-makes-us-human-iv-when-work-is-play
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